Féminisation

Mercredi 15 juillet 3 15 /07 /Juil 21:55


 



Je ne me rappelle que l'émotion des choses. C'est peut-être stupide, mais il faut que je l'écrive pour y croire. Comme si un texte noir sur blanc allait m'apporter la preuve irréfutable que je n'ai pas rêvé. Oui, c'était bien début juillet. Non, je ne raconte pas d'histoire. Oui, j'ai fait une grosse bêtise. Non, je ne m'en croyais pas capable. Oui, je suis très heureuse de l'avoir faite. Non, je ne regrette rien. 

De quoi s'agit-il ? Rien d'extraordinaire en apparence. Un événement de tous les jours. Après m'avoir habillée et maquillée en femme, Maîtresse Cindy m'a emmenée faire des courses dans une boutique de vêtements en plein Paris, du côté du Centre Beaubourg. Voilà, c'est dit. Cela peut paraître insignifiant. A la limite presque banal. C'est tout ? Et alors ? Alors, c'est beaucoup plus facile à résumer qu'à vivre en réel. Et puis, je voudrais bien vous y voir à ma place. Pour ma part, je peux en parler maintenant, à tête reposée, mais sur le coup, j'ai vécu une épreuve comme je n'en avais jamais connue jusque là.  

Ce qu'il y a de bien avec Maîtresse Cindy, c'est qu'elle finit toujours par vous surprendre à un moment ou à un autre. Cette fois-ci, le choc a été plus rude que d'habitude. C ar nous étions parties sur un projet totalement différent. Sur une idée originale et estivale. Sortie tout droit de l'imagination de ma maîtresse. Celle d'un pique-nique à vélo quelque part. Là où les jeunes filles peuvent se perdre... pour s'exhiber, avait-elle pris le soin de préciser, sans doute pour renforcer l'effet de mystère. Et naturellement, comme d'habitude, mon imagination s'était mise en marche au quart de tour. Je me voyais déjà dans les bois, attachée, à demi dévêtue, aux branches d'un arbre, telle Catherine Deneuve dans la première scène de « Belle de jour », ou bien culbutée sur le tronc d'un arbre pour y être fessée énergiquement devant des promeneurs enthousiastes.  

Et puis, la météo n'étant pas précisément au rendez-vous ce jour-là, l'idée du pique-nique est tombée à l'eau. C'est alors que ma maîtresse a sorti de ses cartons son plan B sans m'en dire trop par avance pour ne pas gâcher le plaisir. Je pouvais ranger mon Vélib, ma tenue de sport, mon sac à dos et mon petit goûter. J'avais tout faux. Nous avions finalement rendez-vous au donjon. Comme d'habitude. Sur le coup, j'ai été déçue. Je me faisais une joie de renouveler, cette année encore, une expérience originale dans un cadre bucolique. Le genre de bouffée d'oxygène à ne manquer sous aucun prétexte quand on est élève du Severity College. A la place, nous allions devoir sans doute réviser une fois de plus nos tables de conjugaison, nos verbes irréguliers ou notre histoire de France. La grisaille à la place du soleil. 

Toutefois, en arrivant au collège, j'ai rapidement pressenti que les événements allaient prendre une tournure différente. Difficile, à ce stade, de savoir laquelle. Mais que nous nous écarterions d'une façon ou d'une autre du cours habituel. Pas d'entrée en matière. Pas d'uniforme non plus. Ce qui m'a surtout mis la puce à l'oreille, c'est la question que m'a posée Maîtresse Cindy sur un ton très neutre, presque anodin, au détour de la conversation : vous n'habitez pas très loin du Châtelet, n'est-ce pas ? Sous-entendu, là où nous serons, vous pourrez revenir directement chez vous. Dans le contexte, j'ai tout de suite saisi que si le pique-nique était abandonné, la sortie, elle, ne l'était pas et qu'à défaut d'aller batifoler dans la nature, je n'échapperai pas à une balade à pied dans Paris. 

Et là, j'ai commencé à paniquer. Car contrairement aux fois précédentes, où dans des circonstances semblables, j'avais pu rester confortablement vêtue de mes ef fets civils, il ne faisait maintenant plus guère de doute que nous allions passer à la vitesse supérieure. Que nous tournerions la séquence en décor naturel. La phase des répétitions était achevée. Le temps était venu de me faire éprouver le grand frisson du direct. Le face à face avec le public. Je ne disais rien. J'avais du mal à y croire. Je devais espérer secrètement que se produirait un événement imprévu, un coup de théâtre, que ma Directrice finirait par changer d'avis. Mais j'ai préféré ne rien dire. En m'opposant, je n'étais pas dans mon rôle. Celui que j'ai accepté de tenir à l'origine et que je m'engage à jouer quand je suis avec elle. De surcroît, contester ouvertement son projet aurait sans doute provoqué le résultat contraire. Une détermination sans faille de sa part de le mener à son terme quoi qu'il arrive. Et puis, sur un plan que je qualifierais d'affectif, je lui aurais désobéi pour la première fois. Cela m'aurait gêné de la contrarier. C'était également un test au milieu de mon parcours de formation. Aussi difficile soit-il, il restait à ma portée. En relevant le défi, je lui confirmais que ses leçons avaient porté leurs fruits, que j'avais évolué, que j'avais certainement encore des progrès à faire, mais que j'étais mieux dans ma tête, que j'étais heureuse de le lui montrer et fière de lui appartenir.  

De son côté, en tous les cas, il était clair que nous irions jusqu'au bout. Elle avait d'ailleurs déjà préparé ma tenue ou disons, un choix de diverses tenues possibles à ma taille. Pour faire court, il allait de soi que je porterais mon petit ensemble de lingerie Charlotte acheté l'an dernier. Jusque là, rien à dire. Je me sens très bien dans mon string. Le genre de vêtement qui est là pour me rappeler en permanence que je suis une fille, si jamais l'idée saugrenue me venait de l'oublier. Et le soutien-gorge assorti. Un 90 B. Je l'adore. Il me rappelle tout plein de choses agréables. Pour le reste, ma maîtresse avait apparemment en tête de me faire porter quelque chose de léger, en coton de préférence, et blanc car la saison s'y prêtait. J'ai donc enfilé tour à tour un bermuda puis une culotte rétro sous une jupe portefeuille associée à une chemise Lacoste impeccable. Ce n'est pas que ces vêtements ne m'allaient pas mais j'ai compris que ma maîtresse n'était pas entièrement satisfaite de ce premier essayage.  

C'est finalement un look totalement différent qu'elle m'a donné. Moins adolescent. Plus femme. Dans les noirs. En même temps qu'un indice supplémentaire pour la su ite. Nous allions momentanément remiser au vestiaire l'uniforme habituel. La petite collégienne allait s'effacer devant un personnage nouveau. Habillé d'un body transparent. D'une paire de collants ornés de motifs argent sur le côté. D'une robe noire toute simple, à manches courtes, zippée dans le dos, avec des motifs en vinyle blancs, rouges et noirs devant, dans le bas. Mon personnage a pris forme progressivement. Notamment lorsque j'ai enfilé ma perruque bleue, avec ses deux petites couettes sur le côté. Durant toute cette phase de préparation, j'ai senti ma maîtresse absorbée, réfléchie, concentrée, comme si elle évaluait dans son esprit les conséquences de ses choix, qu'elle en pesait gravement les avantages et les inconvénients. A mon sens, cette attention extrême ne pouvait traduire que le souci de soigner mon apparence dans la perspective d'un départ imminent. 

Embarras du choix pour les chaussures. Bien réfléchir avant de me décider. Privilégier le confort (marcher convenablement), ajouter une touche d'élégance (sélectionner un modèle en harmonie avec le reste de mes vêtements), ne pas me sentir ridicule. Pourquoi ne pas tenter ces escarpins argent à talons. Des talons que je qualifierais de raisonnables. Un peu osés, peut-être, mais j'ai tout de suite senti qu'ils prolongeraient bien mon personnage, ne serait-ce que parce qu'ils se marieraient avec la couleur noire de mes vêtements et les motifs de mes collants. Enfin, Maîtresse Cindy m'a fait enfiler une veste en cuir trois quarts pour compléter l'ensemble. 

Le choix d'un chapeau s'est ensuite révélé plus problématique que prévu. Un béret ? Une casquette ? Sur le haut du crâne ? Sur le côté ? Gauche ? Droit ? Elle a hésité, sollicité mon avis et finalement opté pour un bandeau noir noué derrière la tête. L'effet n'était pas vilain. Ce couvre-chef improvisé aurait au moins le mérite de cacher une partie de mes cheveux. Une perruque bleue dans la rue, ce n'est pas courant ! Pour terminer, une touche de maquillage. Mon intuition s'est confirmée. Habituellement, elle ne se donne jamais autant de mal pour me préparer. D'abord un léger voile de poudre sur le visage. Ensuite, les lèvres, dont elle a d'abord dessiné les contours au crayon avant d'y appliquer du rouge, rappel subtile du motif de ma robe. Enfin, un soupçon d'eyeliner pour faire ressortir mes cils et illuminer mon regard. Quitte à être une femme, autant l'être jusqu'au bout.  

Voilà, c'était fini. Le reste ne dépendait plus d'elle. J'étais maintenant au pied du mur. Il m'appartenait de sauter ou non le pas. Comme si subitement une page venait de se tourner. D'ailleurs à partir de ce moment-là, l'attitude de ma maîtresse n'a plus été la même. Mentalement, celle-ci venait sans doute de finaliser la première étape de son projet. Elle s 'est assise dans un fauteuil et a allumé une cigarette. Repos après la tension. Un geste tout à fait inhabituel pour une directrice de collège censée donner l'exemple. Non, décidément, nous n'étions plus en classe. Nous devions être ailleurs. Et c'est là qu'elle m'a posé la question cruciale : alors Claire, vous êtes prête pour sortir ? 

Je la redoutais tout en pressentant qu'elle finirait bien par arriver. Que nous ne continuerions pas à tourner indéfiniment autour du pot. Angoisse totale. J'étais là, habillée et maquillée, debout devant elle et elle me dévisageait, assise, souriante et détendue, comme si cette interrogation était de pure forme, que mon consentement était acquis depuis le début, que tout le reste allait s'enchaîner le plus naturellement du monde, que nous vaquerions à nos occupations comme si de rien n'était, que d'ailleurs personne ne nous remarquerait, et que tout se passerait pour le mieux. Je me souviens avoir hésité. J'ai répondu ni oui ni non mais que j'avais peur. Et c'est ce sentiment très fort d'anxiété, de trac, qui n'a pas cessé de me tenailler pendant quasiment tout le reste de l'après-midi. Si je devais garder une seule impression de cette sortie, ce serait celle-là. Une peur indicible, rentrée, froide, accompagnée de son lot de symptômes physiques incontrôlables : des crispations au niveau de l'estomac, le pouls qui se met à battre plus vite, une sorte de moiteur qui vous parcourt la surface de la peau. Pas de quoi jouer la faraude, Claire ! On rit moins quand on s'apprête à jouer pour de vrai.  

Ma maîtresse a alors cherché à comprendre. Peur de quoi, Claire ? Peur de ne pas être à la hauteur ou peur d'affronter le regard des autres ? La question était pertinente. A vrai dire, je ne me l'étais pas posée dans ces termes, dans l'incapacité où je me trouvais d'analyser la situation à froid. J'ai répondu que j'appréhendais surtout de me sentir ridicule. Insuffisant sans doute. Mais pas totalement absurde non plus. Je suis tellement attachée à mon personnage que je le voudrais parfait. Irréprochable. Parce que bien loin de m'être étranger, il fait partie de moi-même. Je m'identifie à lui totalement. Et la pensée que je puisse un jour circuler dans la rue dans une tenue semblable ne m'avait jamais effleurée. Ce plan B me paraissait diabolique. Inimaginable. Bien au-dessus de mes possibilités. 

Et là, j'ai touché du doigt mon incohérence, le paradoxe d'une situation que j'appelais de mes vœux tout en l'excluant mentalement. La puissance d'un fantasme en apesanteur, qui peut rester finalement agréable et inoffensif tant qu'il demeure cantonné au domaine de l'imaginaire, mais qui risque d'exploser violemment au contact de la réalité. Maîtresse Cindy a eu beau jeu de me rappeler que je lui avais communiqué mon enthousiasme à l'idée d'un pique-nique et qu'elle ne comprenait pas qu'une autre sortie du même genre - peut-être moins champêtre - pouvait susciter une telle réaction de ma part. Quitte à plaider contre mon camp, je dois reconnaître qu'elle avait entièrement raison. Ne lui avais-je pas écrit quelques jours plus tôt que j'imaginais déjà notre expédition, quand, une fois sur mon Vélib, « une brise légère soulèverait ma jupe en corolle autour de ma taille. Les passants souriraient. Je ferais semblant de ne rien remarquer. Il ferait beau. Je serais heureuse. » 

Finalement, dominer quelqu'un, ce n'est pas simplement le soumettre ou l'asservir, c'est aussi, et peut-être surtout, l'accoucher de ses fantasmes, l'aider à les extérioriser, avec ce que cette naissance peut parfois comporter de pénible et de douloureux, mais aussi de libérateur. Afin qu'il finisse par s'accepter tel qu'il est. Qu'il quitte l'obscurité de la coulisse et consente à se projeter sur le devant de la scène.  

Elle a ajouté que personne ne nous remarquerait, que je me faisais des idées, qu'il y avait toutes sortes de gens bizarres dans le quartier, qu'il en faudrait beaucoup plus pour mettre les passants en émoi, qu'on me trouverait même peut-être jolie et qu'on se retournerait sur mon passage. Là, elle y allait peut-être un peu fort ! J'ai souri. Elle aussi. Ce qui m'a fait plaisir, c'est qu'elle m'ait proposé cette épreuve. Parce que cela voulait dire qu'elle m'en sentait capable. Que j'avais déjà franchi pas mal d'obstacles dans le passé. Un à un. Mais que celui-ci était à ma portée. Car une dominatrice est aussi celle qui sait aider son partenaire à se surprendre et à se dépasser.  

Sortir, d'accord mais pour aller où ? Inutile d'insister. Je ne le saurais qu'au tout dernier moment. Mais maintenant que mon consentement était donné, je me sentais plus libre d'en négocier les modalités. Si nous devions gagner le centre de Paris, je préférais que nous déplacions en taxi. Pas par caprice, mais parce que je nous imaginais très mal prendre le métro. La cohue de la ligne 13, l'attente sur le quai bondé, les couloirs, les correspondances, les regards insistants des voyageurs. La honte. Tout sauf ça. Bouger. Eviter à tout prix le piège d'un endroit où je me sentirais observée comme un oiseau en cage. 

Finalement et de façon paradoxale, on se trouve beaucoup moins en sécurité à l'extérieur d'un donjon qu'en dedans. L'image habituelle qui renvoie à celle de la forteresse inattaquable est incomplète et surtout trompeuse. Ce qui importe, c'est avant tout ce qui se passe à l'intérieur. A l'intérieur de chacun d'entre nous. N ous transportons notre donjon personnel dans notre cerveau. C'est très pratique ! Rien de plus rassurant que de se jouer son petit fantasme à l'abri du monde extérieur, en compagnie de quelqu'un en qui vous avez confiance et qui se montre indulgent à votre égard. Mais beaucoup plus dur quand les murs épais de la forteresse ne sont plus là pour vous protéger, qu'ils s'éloignent au fur et à mesure que vous avancez. Jusqu'à disparaître. Quand le rideau rouge est tiré, que le silence se fait, que les projecteurs s'allument. Et que vous vous retrouvez seule devant le public.  

La deuxième condition, c'était d'obtenir que nous nous rendions à la station de taxi à pied, d'accord, mais si possible en dehors des voies les plus fréquentées, notamment l'avenue de Clichy, d'ordinaire surpeuplée, où je me serais certainement taillée mon petit succès. Concession accordée. Maîtresse Cindy a fermé la porte et nous avons gravi l'escalier. Parées pour le grand voyage. Dans la rue, j'ai tout de suite eu l'obsession de me trouver le plus possible en osmose avec mon personnage. Puisque j'allais être perçue comme une femme, il fallait que je le devienne complètement. Mais sans ostentation. Nous n'étions pas sur un podium pour un défilé. Rester digne et, autant que faire se peut, élégante. Une femme ne marche pas comme un homme. Elle fait des pas plus petits. J'ai ralenti l'allure pour me con centrer sur cette difficulté en tentant également d'anticiper sur les difficultés du terrain. En sens inverse, je me suis bien gardée de dévisager les gens, de peur de susciter leur attention. Le premier couple que nous avons croisé nous a à peine regardées. Là encore, je me suis dit que les barrières qui m'isolaient du monde extérieur, je les avais surtout dans ma tête et que prêtais beaucoup trop d'importance à ma petite personne pour croire que j'étais devenue subitement le centre de l'univers. 

Tout de même, les choses se sont un peu compliquées au débouché sur le boulevard de Clichy. Une foule beaucoup plus dense. Des badauds, des consommateurs attablés aux terrasses des cafés. Et puis il fallait bien aussi s'arrêter aux feux tricolores. Une autre fois, quand je serai plus à l'aise, je pourrai me permettre de faire des clins d'œil aux conducteurs. Pour l'instant, profil bas. Les gens me dévisageaient dans les cars de touristes. Ah Paris ! J'ai fait semblant de ne rien remarquer. Incapable de passer totalement inaperçue mais rassurée d'observer la plupart du temps dans le regard des autres un signe de surprise voire d'amusement plutôt qu'une réaction d'hostilité. Montée subite d'adrénaline dans l'ascensio n du point culminant de cette séquence : la traversée de la place de Clichy en dehors des passages protégés pour atteindre le terre-plein central et la tête de station des taxis. 

Mercedes grise. Impossible d'entendre l'adresse que Maîtresse Cindy a donnée au chauffeur. Je suis montée en premier et j'ai dû glisser sur toute la longueur de la banquette avec mon barda pour m'installer à l'autre extrémité. Difficile de rester présentable quand on n'en a pas l'habitude. Avec un peu d'entraînement, je devrais réussir à montrer ma petite culotte. Un peu mais pas trop. Juste assez pour exciter les hommes. Le moteur a démarré. J'ai poussé un soupir de soulagement. Peu importe ce que pouvait penser le chauffeur dans son rétroviseur. Si jamais il pensait quelque chose. Saint-Lazare. Place de l'Opéra. Rue du Quatre Septembre. Rue Réaumur. C'est bien ce que je pensais, nous n'allions pas tarder à arriver dans le quartier des Halles. La voiture s'est finalement arrêtée à l'angle du boulevard Sébastopol et de la rue Rambuteau. Galamment, le chauffeur nous a ouvert la porte et nous sommes descendues.  

Un monde fou gravitant autour du Centre Beaubourg. Oubliée la pause taxi. On recommence. J'ai senti ma tension monter au maximum. Mon cœur se remettre à accélérer. Regards tantôt malicieux tantôt indifférents. Mon accompagnatrice a eu beau me dire que dans ce quartier, on ne s'étonnait plus de rien, je suis restée crispée, obnubilée par le besoin de me faire confirmer que nous n'en avions plus pour longtemps, que nous étions près du but, quelques minutes, pas plus, qu'elle n'avait pas prévu de faire durer mon supplice par des détours inutiles. Pour le plaisir.  

Et puis soudain, l'oasis dans le désert, la terre promise, la délivrance, une rue plus étroite, plus calme et une boutique de prêt-à-porter ou plus exactement de prêt-à-oser dans laquelle nous nous sommes engouffrées. Le déclic entre l'avant et l'après dans cette aventure exceptionnelle. Tout se qui pourrait se passer désormais à l'intérieur m'était d'avance indifférent car mentalement, à tort ou à raison, je considérais que je venais de réussir le plus difficile. En pénétrant dans le magasin, je venais de me reconstituer un nouveau donjon isolé de l'extérieur. J'ai donc beaucoup mieux vécu la suite. Rassurée, détendue, et du coup, beaucoup plus près de mon personnage. Avec la vendeuse, le contact est passé tout de suite. Bonjour, Madame, je m'appelle Claire Grenadine. Je suis en 3ème 2 au Severity College. Ma directrice m'accompagne pour choisir mes vêtements. Cela n'a pas eu l'air de la surprendre. Plutôt même de l'amuser. Enfin une visite qui sortait de l'ordinaire. Les deux femmes ont échangé un sourire complice.  

Escalier en colimaçon donnant sur une superbe salle voûtée au sous-sol. Quelques clients discrets. Des canapés profonds. Un gros ouvrage consacré aux dessins d'Eric Stanton sur une table basse. Un salon plus qu'un magasin. Et puis des portants à n'en plus finir. Des vêtements partout. Le long des murs. Dans les recoins. Des accessoires aussi. Et des chaussures. De toutes les formes. De toutes les tailles. Dans toutes les matières. Corsets, boléros, guêpières, porte-jarretelles, tuniques, combinaisons, culottes, shorties, petits hauts mou lants, tenues de soubrettes, d'infirmières, de pom-pom girls, de secrétaires, de premières communiantes, minijupes, latex, cuir, vinyle... Mieux qu'une boutique de jouets. Qu'un éventaire de marchand de glaces. Qu'une vitrine de confiserie. De quoi faire perdre la tête à une jeune fille qui s'initie au plaisir. Ou à son accompagnatrice. Cabines d'essayage. Maîtresse Cindy m'a invitée à me mettre à l'aise. Débarrassée de ma veste et de mon foulard, avec ma perruque bleue, mes deux couettes sur le côté et ma petite robe noire, je me suis sentie renaître. Heureuse de me montrer en femme. 

La vendeuse nous a d'abord laissé regarder tranquillement avant de s'enquérir plus précisément de nos attentes. Je lui ai expliqué que, collégienne dans un établissement très réputé, je recherchais une tenue assez stricte sans être enfantine, car j'avais passé l'âge. Maîtresse Cindy m'a semblé approuver cette demande.  

Mais contrairement à l'an passé où le choix d'un soutien-gorge et d'une petite culotte assortie chez Lily Lingerie avait été effectué sans essayage et sans l'aide d'une conseillère, j'ai tout de suite compris que, cette fois-ci, nous pourrions jouer en « live ». Sélection de plusieurs modèles. Cabine. Je me suis mise en tenue légère. Rideau à moitié tiré. A quoi bon me cacher. Nous étions entre femmes. Petit ensemble gris à fines rayures. Beaucoup de tenue. Dans le genre pervers distingué. Avec des jarretelles intégrées à la jupe. Très courte, la jupe. Et une touche glamour comme je les aime. Ou bien, plus osé, un minishort rouge sang en vinyle ultra court. Orné par-derrière d'une fenêtre en tulle noir ajouré qui faisait ressortir mes courbes potelées.  

Chaque essayage s'est trouvé entrecoupé de diverses punitions pour les motifs les plus futiles. Je n'avais pas à chercher à comprendre. Debout, penchée en avant, les mais posées sur les genoux. Fessée à main nue en bonne et due forme, devant la vendeuse, qui semblait assister à la scène avec beaucoup de naturel et d'amusement. Un simple échauffement avant d'aller plus loin. Je n'imaginais pas que Maîtresse Cindy pourrait aller jusque là. J'adore recevoir la fessée devant une autre femme. Elle avait en fait tout prémédité. Sa petite mallette noire regorgeait d'accessoires. Des mini pinces à linge en guise de pinces à seins. Un bracelet élastique conçu pour ligaturer les testicules. 

A nouveau à quatre pattes pour recevoir la fessée. Mais à quatre mains. Car maîtresse Cindy, poussant un peu plus loin son entente avec sa complice du moment, avait maintenant associé cette dernière à l'opération. Les coups sont devenus plus appuyés. Mes fesses allaient virer au rouge écarlate. J'étais prévenue. Jusqu'à atteindre la couleur du short en vinyle que je venais de retirer. A ma maîtresse la fesse droite. A la vendeuse la gauche. Inutile de regarder dans le miroir. Le simple fait de les sentir m'a suffi à les reconnaître. A gauche, les coups étaient beaucoup plus énergiques. Vendeuse peut-être mais pratiquante régulière de la fessée, j'en aurais mis ma main à couper. D'ailleurs, Maîtresse Cindy l'a rapidement laissée seule aux commandes. En confiance. Et elle s'est très bien débrouillée. Apportant sa touche personnelle en sillonnant de temps à autre de ses ongles effilés la peau tendre de mes cuisses. 

Les recherches vestimentaires se sont poursuivies. Tant pour ma maîtresse que pour moi. Corset pigeonnant dans les roses, façon Chantal Thomass pour elle, à moins qu'elle n'opte pour un ensemble futuriste en lycra argenté, composé d'un body lacé à grosses mailles dans le dos avec des pointes par-devant et d'un short court super moulant dans la même matière. J'ai fini par la rejoindre au rez-de-chaussée où elle avait repéré à mon intention une petite jupette rose très fluide et finement plissée à enfiler avec un chemisier blanc.

  Nouvelle séance d'essai. Fermeture éclair sur le côté assortie d'une bride passée dans un anneau pour ajuster le tout. Le 40 m'allait. Inutile d'essayer la taille du dessus. Matière agréable et légère. Longueur adaptée dégageant suffisamment le haut des cuisses. J'ai immédiatement pensé que ma maîtresse pourrait me la relever facilement à la première bêtise. Elle m'a demandé si elle me p laisait. Je lui ai répondu oui. Et pour l'étrenner, elle a décrété sur-le-champ une nouvelle séance de travaux pratiques. A quatre pattes, jupe relevée, au martinet cette fois. Les lanières se sont mises à cingler. J'ai fermé les yeux. L'orage une fois passé, elle a posé son instrument sur mes reins en m'ordonnant de rester dans cette position. Cela me contraindrait à rester tranquille pendant qu'elle terminerait sa prospection.  

A elle maintenant de se livrer à des essayages. Et à mon tour de l'imaginer se déshabiller tout à côté, derrière le rideau. De l'admirer dans ses diverses tenues, quand elle réapparaîtrait en corset pigeonnant ou en body argent. Superbe. D'entrevoir ses seins quand elle descendrait la fermeture à glissière de sa tunique en vinyle blanche. Magnifiques. De quoi me tordre le cou, frémir d'impatience, perdre mon sang-froid, sentir venir les crampes. Et réussir à faire tomber le martinet. Maîtresse Cindy a entendu sa chute. Elle devait guetter cet instant depuis quelques minutes. Elle est revenue aussitôt vers moi, triomphante. Bien décidée à reprendre une fois de plus l'avantage. Et puisque sa complice semblait toute disposée à l'aider une fois encore, elles ne seraient pas trop de deux pour m'administrer le martinet. Ma maîtresse m'a inséré le manche d'un petit strap noir entre les dents en guise de bâillon et s'est mise à me caresser le sexe pendant que la vendeuse faisait voltiger ses lanières...  

Voilà, j'en ai déjà beaucoup dit. Non, je n'ai rien inventé. Tout est vrai. La tenue. La sortie. Le taxi. La boutique. Les vêtements. La jupette rose. La vendeuse. La fessée. Le martinet.  

Et la pluie pour nous rappeler à la vie quand nous sommes ressorties dans la rue. 

Il était tard.  

Je venais de vivre un moment unique. Beaucoup plus qu'une leçon particulière. Une expérience inédite. Une épreuve en grandeur réelle. Un examen de passage. Sans filet de rattrapage. Une métamorphose. Avec la peur en toile de fond. Et le plaisir au bout du tunnel.  

En plein Paris par un après-midi maussade d'été.

  

Par Claire Grenadine - Publié dans : Féminisation
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Lundi 30 novembre 1 30 /11 /Nov 20:00

Salut Sophie,

J’ai une grande, très grande nouvelle à t’annoncer : j’ai fait récemment l’acquisition de mon premier soutien-gorge. Oui, tu as bien lu, mon premier soutien-gorge. Tu es la première à qui j’en parle. C’est tout frais, ça date de mercredi dernier. J’étais folle de joie. D’autant plus que je ne m’y attendais pas. Ou en tout cas, pas aussi tôt. Cet été, j’avais bien constaté dans la glace que ma poitrine avait grossi et que j’avais de plus en plus de mal à boutonner mes chemisiers mais les choses se sont précipitées le jour de la rentrée. « Un peu de silence, mesdemoiselles, mettez-vous en rangs pour la visite médicale ! » Nous voilà en petite tenue à attendre notre tour dans le couloir de l’infirmerie. Entre parenthèses, c’est tou jours Sœur Marie-Alphonse qui est aux commandes. Pareille à elle-même. Je peux même te confirmer qu’elle n’a pas profité de ses vacances pour se raser la moustache. Enfin bref, examen sous toutes les coutures, poids, taille, tension… Elle a annoté mon dossier en silence puis, derrière ses lunettes en demi-lune, j’ai observé ses yeux se poser longuement sur moi comme si quelque chose avait changé et que je n’étais plus la même.

- Vous grandissez, Claire, il est temps que l’on vous fasse porter un soutien-gorge.

J’ai bien aimé la formule. Comme si cette décision s’imposait à moi et que je ne pouvais plus m’y soustraire. J’ai répondu « Oui, ma sœur » en rougissant. Non pas parce que j’ai honte de grandir mais parce que je sentais qu’elle serait satisfaite si je réagissais comme ça. En fait et au fond de moi, j’étais super contente. Elle s’est empressée d’ajouter que ça tombait très bien, que demain nous étions mercredi et que Maîtresse Cindy se ferait certainement un plaisir de m’accompagner.

De retour à la maison, il a tout de même bien fallu que j’en dise un mot autour de moi. Sans éclat de joie mais en adoptant le ton neutre qui sied à la constatation d’une évidence. Cela devait bien finir pa r arriver. Ma maman n’a pas paru l’air surprise. Elle a même trouvé très bien que ce soit ma directrice qui s’en occupe personnellement. Tant mieux, avec elle, à coup sûr, je n’aurais pas eu un seul instant voix au chapitre. Elle m’aurait collé de force l’inévitable brassière ringarde à fleurettes en m’assurant que j’allais grandir encore et que c’était bien suffisant pour commencer.

Me voilà donc au collège, mercredi. Contrairement à ce que je prévoyais, Maîtresse Cindy m’a conduite directement en classe comme s’il s’agissait d’un jour de semaine ordinaire. Cela sentait l’entourloupe. Elle avait l’air sévère. Sans que rien avec elle ne soit jamais vraiment une partie de plaisir, je m’attendais tout de même à un accueil un peu plus chaleureux, d’autant plus que je m’étais résignée à filer doux pour mettre toutes les chances de mon côté. Elle m’a ordonné de me déshabiller et de ne conserver que ma petite culotte, puis de me mettre à genoux à ma place. J’ai soulevé mon pupitre pour en extraire mon cahier Clairefontaine bleu. Sur ses instructions, j’ai laissé une page vierge pour marquer le passage à la nouvelle année et j’ai inscrit en haut à droite la date du jour : mercredi 12 septembre. Comme elle tenait une feuille de papier à la main, j’ai subitement réalisé que nous allions faire une dictée et je me suis dit que décidément j’étais trop naïve. Que j’étais tombée tout droit dans un piège. Que l’histoire du soutien-gorge avait été montée de toute pièce pour m’attirer au collège et pour me punir dès mon premier jour de congé, afin de prendre les devants et de briser dans l’œuf toute tentative de rébellion de ma part.

Mais quand je l’ai entendue énoncer le titre de la supposée dictée, « Comment choisir sa bonne taille de soutien-gorge » ou quelque chose comme ça, j’ai vite changé d’avis. Pour une fois, il ne s’agissait pas d’un truc débile d’Albert Samain ou de Théophile Gautier sur le général Hiver saupoudrant les carreaux de givre et recouvrant la nature de son grand manteau immaculé. Elle ne m’avait pas raconté de carabistouilles. Au contraire, elle procédait en toute logique en commençant par définir les règles avant de passer à la pratique. Cela m’a rassurée. Elle me prenait sous son aile et acceptait de m’initier aux mystères des « grandes ».

Le texte recommandait de se munir d’un mètre de couturière et de prendre directement ses mesures sur le corps sans serrer. La première mesure, dite de « dessous de poitrine » ou de « tour de dos », effectuée juste sous les seins, permettrait de calculer la taille du soutien-gorge, tandis que la seconde, dite de « tour de poitrine », prise horizontalement au niveau de la pointe des seins, déterminerait la profondeur des bonnets. La combinaison de ces deux données renvoyait à un tableau de correspondance désignant les tailles à choisir. Pour finir, l’auteur de l’article insistait sur la nécessité de prendre ses mesures au moins une fois par an, et notamment chez les jeunes filles à l’occasion de la rentrée scolaire.

Maîtresse Cindy a découpé le tableau qui illustrait le texte et m’a demandé de le coller sur mon cahier. J’ai fait le nécessaire. Nous avons ensuite pris un exemple et elle a vérifié que j’avais bien assimilé la méthode de calcul.

Elle m’a alors autorisée à me relever et à l’accompagner à l’infirmerie, munie de mon cahier, de façon à passer aux travaux pratiques. Sur place, toutes sorte s de modèles de soutiens-gorges m’attendaient, déjà disposés sur la table. J’étais très excitée. D’autant plus qu’il y avait là, juste à côté, une grande glace dans laquelle j’allais pouvoir m’observer en pied.

Au début, j’ai cru que nous allions inverser les rôles. Que Madame la Directrice allait me demander de prendre ses mensurations à elle, de façon à s’assurer que je m’y prenais correctement et que le résultat de mes calculs était exact. Puisqu’elle connaissait déjà sa taille, mon échec ou mon succès aurait été immédiat. Mais j’ai vite compris que je faisais fausse route. Que nous n’étions pas là pour ça. Que je n’avais pas besoin de connaître ses mensurations. Que c’était à moi d’apprendre et pas à elle. Et qu’il n’était surtout pas dans le genre de la maison d’autoriser, pour quelque raison que ce soit, une élève à peloter - même sans en avoir l’air - les seins de sa Directrice.

A la place, Maîtresse Cindy m’a tendu son mètre afin que je prenne mon tour de dos. J’ai fait glisser le ruban autour de mon buste et l’ai ramené devant moi pour le lire. Durant toute l’opération, elle ne m’a pas quittée des yeux. Le verdict est tombé sans équivoque. J’avais tout faux. Le mètre était bien trop bas, il n’était pas plaqué à l’horizontale dans mon dos et il fallait qu’il soit parfaitement calé par-devant, « sous le pli des seins ». Sous le pli des seins, ça m’a fait tout drôle. Nous avons lu ensemble : 88-90 centimètres. J’ai consulté le tableau de correspondance et mon doigt s’est arrêté sur la taille 90.

Nous sommes alors passées à la deuxième mesure, juste au niveau de la pointe des seins. J’adore cette expression. Elle me fait terriblement fantasmer. C’est comme si j’avais subitement sous les yeux les mamelons dressés de Sophie Marceau et de Monica Bellucci réunies. La réalité s’est révélée nettement plus triviale. 90 centimètres aussi. C’est logique, m’a répondu Maîtresse Cindy dans un grand sourire. J’ai bien compris ce qu’elle voulait dire mais je me suis dit que ma cause n’était pas désespérée, que je n’en étais qu’au tout début de ma croissance et qu’au fil du temps, mes bourgeons printaniers ne tarderaient pas à s’épanouir. Selon les indications du tableau, c’était la pr ofondeur B qu’il fallait prendre pour cette taille.

Dans l’instant, rien ne pouvait me faire plus plaisir. Je connaissais enfin la taille de mon premier soutien-gorge. Il n’y avait plus aucun doute. Elle venait d’être dûment approuvée par une personne adulte. 90 B. 90 B. 90 B. Si je ne m’étais pas retenue, je crois que je l’aurais criée très fort, rien que pour le plaisir de l’entendre résonner contre les murs et me renvoyer en écho la certitude que je venais de franchir une étape importante dans ma nouvelle vie de femme.

Il ne nous restait plus qu’à confirmer en pratique la pertinence de nos calculs. Maîtresse Cindy m’a donc présenté plusieurs modèles en mettant l’accent sur leurs principales caractéristiques, enveloppantes, en triangle, à balconnets, avec ou sans armatures… de quoi me faire méditer sur la complexité du choix du soutien-gorge idéal. De toute évidence, une affaire purement féminine. Avec mes petits chemisiers blancs à cols ronds, je n’en étais pas encore à me poser toutes ces questions mais pour le reste et en fermant les yeux, je me trouvais déjà ailleurs, quelques années plus tard, dans le boudoir élégant et raffiné d’une boutique de lingerie chic, flottant dans un clair-obscur de soies crissantes, de jours-de-Venise et de dentelles ivoire...

Les blancs virginaux, les roses malabar, les noirs vénéneux, les rouges ardents, les vinyles galactiques, les transparents ensorceleurs… je les ai tous essayés. Ravie de pouvoir me contempler dans le miroir en train de les passer comme une grande, en joignant par-derrière les mains dans mon dos pour ajuster la bride. Pour éprouver la satisfaction de mettre en valeur mes seins en les faisant saillir. Pour tester mon pouvoir de séduction devant ce témoin muet et bienveillant. Complice, Maîtresse Cindy m’a laissée faire, sans doute heureuse elle aussi, de me sentir à l’aise. En définitive, il lui a semblé que le modèle rembourré à armatures conviendrait le mieux à ma morphologie.

J’ai constaté qu’elle me faisait essayer plusieurs 85, qu’elle pouvait observer comme moi qu’ils me remontaient trop haut par- devant, et qu’elle semblait un peu contrariée qu’ils ne m’aillent pas. Au fond, c’est vrai, 90, tu ne trouves pas ça un peu bizarre, toi ? Histoire de rigoler un coup, j’ai failli dire à Maîtresse Cindy que son tableau devait être inexact. Qu’on commençait forcément par un 85 quand c’était la première fois. Je ne suis pas certaine qu’elle aurait vraiment apprécié. En me foudroyant du regard, elle m’aurait répondu que décidément j’étais toujours aussi insolente, que je ne pouvais pas me retenir d’ergoter, qu’elle s’y connaissait tout de même mieux que moi et qu’elle n’avait de leçon à recevoir de personne dans ce domaine. Alors pour la faire bisquer, j’en aurais rajouté une petite louche en lui confiant qu’elle aurait pu s’en apercevoir un peu plus tôt parce que moi, quand je me regardais dans la glace, j’avais remarqué depuis longtemps que mon corps avait changé. De toute façon, je vais te dire, 90, je n’ai rien contre, bien au contraire. C’est même plutôt cool. A ce rythme-là, je devrais rapidement faire exploser les compteurs. Je te parie que je vais monter à 100 l’année prochaine. A la limite du retrait de permis !

Bref, près plusieurs tentatives infructueuses de 85, décidément trop courts, il est apparu à Maîtresse Cindy que c’était bien un 90 B qu’il me fallait. Alors, a-t-elle enchaîn é, d’un ton enjoué, il ne nous reste plus qu’à nous rendre dans un magasin pour en faire l’acquisition ! Je l’ai regardée fixement. Dans les yeux. Son sourire n’enlevait rien à sa détermination. J’avais du mal à y croire. C’était pour de vrai. Pour ne rien te cacher, j’y avais déjà pensé. Je lui en avais parlé. Elle avait deviné mon intérêt. J’espérais secrètement que mon incursion initiatique dans l’univers féminin se prolongerait sous cette forme. Tout en me rassurant en me disant que j’adorais me faire peur mais que je savais bien que je le jeu s’interromprait à l’issue des phases préliminaires, qu’elle n’oserait pas aller jusqu’au bout et que tout cela resterait du domaine du fantasme.

Sans trop comprendre ce qui m’attendait, j’ai renfilé mon uniforme et je l’ai attendue dans le hall du collège. Elle a refermé les grilles derrière nous et nous sommes sorties dans la r ue. Vacarme de la circulation. Un monde fou sur les trottoirs. C’était un peu stupide de ma part, mais consciente de ce que nous allions faire, j’ai eu l’impression que tous les gens que nous croisions et qui nous observaient en souriant le savaient aussi. Maîtresse Cindy se tenait à ma hauteur et a engagé la conversation. Toutefois, préoccupée par ce que je m’apprêtais à vivre, je me rappelle l’avoir écoutée d’une oreille plutôt distraite. Elle a eu le temps de me glisser qu’elle m’emmenait dans un magasin spécialisé, que ce serait mieux comme ça pour un premier achat, et que j’aurais bien le temps par la suite de choisir une boutique plus conforme à mes goûts. J’ai alors réalisé qu’elle parlait sérieusement, qu’elle avait sans doute déjà tout préparé et vérifié à l’avance et que rien n’avait été laissé au hasard. Pensive, je suis allée jusqu’à lui demander si la vendeuse avait été prévenue de notre visite. Mais elle s’est bien gardée de répondre.

Après une marche de quelques minutes, nous sommes entrées chez « Lily Lingerie ». Contrairement à mes espoirs, nous n’allions pas être les seules clientes. Les unes circulaient déjà autour des m annequins, retournaient les étiquettes, soupesaient l’étoffe des modèles, en appréciaient la texture, l’élasticité, la transparence, comparaient les formes et les couleurs, les décrochaient et les portaient à hauteur de leur buste pour s’imprégner d’une première image mentale dans le reflet d’un miroir. Anticipant, par exemple, l’effet irrésistible de tel ou tel décolleté pigeonnant vanté par le fabricant pour les échancrures carrées. Les autres plongeaient leurs mains dans les bacs et extirpaient tant bien que mal les pièces entrelacées dans l’espoir de trouver leur taille. Ma première impression a tout de suite été la bonne. Beaucoup de choix. Des couleurs vives. Fraîches. Acidulées. L’impression soudaine de me trouver dans une confiserie. Partagée entre le caprice de vouloir goûter à tout et la conscience attristée de devoir me restreindre.

Maîtresse Cindy m’a laissé faire en restant délibérément en retrait. J’ai rapidement compris que cet achat, personne d’autre que moi ne le ferait, qu’il fallait que j’aille jusqu’au bout de mon envie, que c’était avant tout mon soutien-gorge et qu’à ce compte-là, il était normal que je le choisisse moi-même. J’ai pensé aussi qu’en restant sciemment dans l’ombre, elle avait surtout dans l’idée de concentrer le faisceau du projecteur sur mes faits et gestes. Pour que l’on finisse par me remarquer. Et pour que toute ambiguïté sur la signification de notre présence soit levée. Je n’étais pas là pour la conseiller dans son choix à elle. Que je le veuille ou non, je tenais au contraire et pour une fois le rôle principal. En tant qu’accompagnatrice, elle se limiterait à me donner la réplique.

Nous avons parcouru méthodiquement chaque colonne, classée par couleur. J’ai vite fait de me repérer. Les petites tailles par-devant, les grandes par-derrière. Dans les roses pâles, il y avait un modèle qui aurait pu éventuellement m’aller mais il était vendu avec un boxer qui ne me plaisait guère. Quitte à choisir mon premier soutien-gorge, j’avais en tête de trouver un bas assorti, à mon goût. Un ensemble. Une parure. Quelque chose de très intime et de très féminin, que j’aurais porté avec plaisir et conservé avec le plus grand soin dans un tiroir de ma commode parfumé de petits sachets de lavande. Maîtresse Cindy a tout de même insisté pour que je le décroche.

Un peu plus loin, dans une tonalité de rose-rouge plus soutenue, j’ai repéré un modèle qui m’attirait davantage, assorti d’un petit string super mignon. Là encore, sur les conseils de ma Directrice, j’ai sélectionné un 90 B pour le haut et un 38/40 pour le bas. Petit à petit, les pièces de lingerie se sont accumulées sur mon bras et je me suis sentie de plus en plus gênée. D’un côté, je n’avais pas l’intention de me priver en opérant dès le départ une présélection trop restreinte, mais de l’autre, je me conduisais de plus en plus ouvertement comme une acheteuse à part entière, je pouvais de moins en moins me cacher. J’avançais en terrain découvert. Du coup, je me suis absorbée dans mon choix, histoire de fixer mon attention sur quelque chose pour éviter de rencontrer le regard surpris, voire amusé ou légèrement moqueur, des clientes.

Non seulement Madame la Directrice se gardait bien de m’aider à porter quoi que ce soit, mais il devenait de plus en plus évident que je finirais par devoir essayer tous ces modèles sur moi, quelque part dans une cabine. La hont e ! Je ne sais pas si l’on a vu le rouge me monter aux joues mais j’ai pressenti que j’allais au-devant de sérieux ennuis. Que le pire m’attendait. Un supplice insupportable car d’autres modèles m’attiraient encore. Notamment un petit rouge et noir très frais et impertinent, décoré de motifs tout droit sortis d’une bande dessinée. Il me plaisait beaucoup. Ma Directrice l’avait, semble-t-il, repéré aussi de son côté mais l’opération était sans espoir car il n’y avait pas ma taille ni de bas pour aller avec !

Maîtresse Cindy s’ingéniait apparemment à faire durer le plaisir. Non, je n’avais pas encore tout vu, oui, il fallait continuer à chercher car il y avait encore des modèles plus loin qui pourraient peut-être me convenir.

En poursuivant notre prospection, nous avons fini par trouver un modèle dans les écossais à fines rayures roses sur fond gris. A dire vrai, mon premier réflexe a été de l’éliminer mais en y réfléchissant un peu, et Madame la Directrice partageait mon sentiment, j’ai trouvé finalement qu’il était bien adapté à mon âge et à mon style. Autrement dit, brûlant les étapes, les modèles que j’avais sélectionnés jusque-là me renvoyaient inconsciemment une image de la femme déjà épanouie que je n’étais pas encore mais que je deviendrais sans doute un jour. Dans l’immédiat, c’était bien celui-là qu’il me fallait. Très simple. Très frais. Très innocent. Bien assorti à son appellation juvénile : « Charlotte ». Nos mains ont plongé à tâtons dans le méli-mélo du bac pour en extraire un soutien-gorge à ma mesure, et faute de trouver un 38/40 pour le bas, je me suis rabattue sur un 40/42, un string craquant, décoré d’un petit nœud noir par-devant et par-derrière. Pour me montrer que cette légère différence de taille resterait sans conséquence, Maîtresse Cindy n’a pas hésité à déplier un 38/40 dans une autre couleur. J’ai eu l’impression qu’elle le faisait moins dans l’idée de me convaincre à tout prix que de me placer délibérément dans une situation embarrassante. Il paraît que je suis perverse mais je crois que je ne suis pas la seule.

- Eh bien, maintenant que vous avez effectué votre choix, Claire, il ne vous reste plus qu’à essayer !

Elle rayonnait. Je suis devenue rouge pivoine ou peut-être même écarlate, difficile à dire, mais j’ai senti une énorme bouffée de chaleur me traverser de part en part. Je l’ai suivie un peu plus loin, mes petits dessous sur le bras, devant deux cabines dissimulées derrière un rideau couleur crème. Éclairage tamisé. Petit tabouret. Miroirs à panneaux latéraux mobiles pour se voir de profil. L’une d’entre elles était apparemment déjà occupée. Il m’a semblé entendre Madame la Directrice murmurer quelque chose à l’oreille de la vendeuse en me désignant du regard. Celle-ci lui a retourné un large sourire complice.

« Commencez par ce modèle », m’a-t-elle enjoint en tirant devant moi le rideau de la cabine disponible, « je vous attends ». J’ai commencé par ajuster le rideau. Tu sais, ce genre de rideau qui est toujours trop court d’un côté ou de l’autre à force d’avoir été manipulé dans tous les sens et qui est donc loin de t’assurer l’intimité dont tu as besoin. Il a fallu que j’en prenne mon parti et que je me décide malgré tout à me déshabiller et à enfiler mon petit ensemble. Restait ensuite à saisir le moment le plus opportun pour sortir discrètement. J’ai tendu l’oreille. Maîtr esse Cindy prenait visiblement un malin plaisir à marteler le sol de ses bottines noires pour me signifier son impatience. A côté, la situation ne s’arrangeait pas vraiment non plus. Ma voisine n’arrêtait pas d’entrer et de sortir pour se contempler dans le miroir en profitant au passage des conseils de son amie restée à l’extérieur. A entendre leurs fous-rires, elles avaient l’air de bien s’amuser. Je me suis alors décidée à me jeter à l’eau et j’ai tiré le rideau. A moitié seulement. Mais Maîtresse Cindy s’est empressée de l’écarter en grand.

- Enfin ! Vous en avez mis du temps !

Naturellement, elle ne s’est pas contentée d’entrer dans la cabine pour m’examiner mais elle m’a fait signe d’en sortir. J’étais paralysée et, j’imagine, rouge cramoisi. Les clientes qui passaient par là ont marqué un temps d’arrêt et m’ont déshabillée du regard des pieds à la têt e. Mes voisines de cabine, enchantées de l’aubaine, ne se sont pas gênées pour m’observer de leur côté. J’ai quitté malgré moi ma cachette. Avec une infinie prudence. Les sens en éveil. Le regard balayant systématiquement le magasin comme un radar, soucieuse d’éviter autant que possible les mauvaises rencontres. Tel un escargot prêt à rentrer dans sa coquille à la première alerte.

- Mais ne restez donc pas plantée là comme ça, je vous ai demandé d’avancer !

Comme je le craignais, Madame la Directrice m’attendait tout là-bas, à l’opposé, au bout du magasin, parce que soi-disant, il fallait qu’elle me voie évoluer pour se faire une impression d’ensemble. Plus vraisemblablement, je pense qu’à ce moment-là, son principal objectif était de m’exhiber pour me faire bien honte. Et bien entendu, je n’ai pas pu échapper à un essayage en règle de tous les modèles un par un, car chacun avait ses qualités mais aussi ses défauts, que le suivant gommerait peut-être, c’était le seul moyen pour ne pas se tromper, rien ne pressait, nous avions tout notre temps, il ne fallait pas bâcler un achat aussi important…

A force d’arpenter l’allé e dans tous les sens, de m’arrêter devant la glace, de repartir, je me suis sentie tellement gênée que je n’ai plus osé lever les yeux. C’était un peu comme si j’avançais sur un podium pour un défilé de mode. On aurait cru que toute la clientèle s’était donné le mot pour converger vers le rayon lingerie. Des commentaires goguenards et des rires étouffés s’attachaient à mes pas. A chaque fois que je faisais demi-tour pour regagner ma cabine, un sentiment étrange et indéfinissable m’envahissait. Comme si mille paires d’yeux étaient pointées sur le bas de mes reins, attentives à ne rien perdre du spectacle.

Madame la Directrice, ravie de la tournure que prenaient les évènements, n’a pas manqué d’accompagner mes essayages de nombreux commentaires. « Tournez-vous » … « Pas mal, pas mal »… Je ne savais plus où me mettre. Et comme cela ne lui suffisait pas, elle a appelé la vendeuse pour lui demander son avis. Celle-ci a tout de suite compris que son tour était venu d’entrer en scène. Et de jouer le personnage que l’on attendait d’elle. A mi-chemin entre l’experte technique et la psychologue féminine. Ses gestes étaient rapides et précis. J’ai senti ses doigts effilés parcourir ma peau, effleurer mes seins, ajuster une bretelle, descendre plus bas, remonter le long de mes cuisses nues, tendre les bords de mon string très haut sur mes hanches.

- Vous ne croyez pas que quelque chose d’encore plus échancré lui irait mieux ?

Madame la Directrice a acquiescé. Elle a ajouté : « Vous avez raison, quand j’y pense, ce serait même beaucoup plus pratique pour lui donner la fessée ! », et elles sont parties toutes les deux d’un grand éclat de rire.

En définitive, après de multiples autres péripéties qui n’ont fait qu’accroître mon malaise, c’est le modèle écossais « Charlotte » que nous avons retenu. Je me suis rhabillée le plus vite possible, soulagée. Ultime ou avant-dernière épreuve, Maîtresse Cindy m’attendait à l’extérieur de la cabine et m’a tendu les modèles que je n’avais pas retenus pour que j’aille moi-même les raccrocher sur les présentoirs au vu de tout le monde.

Puis, ultime étape de mon calvaire, nous nous sommes dirigées vers les caisses. La Directrice a naturellement choisi la file où il y avait le plus de monde afin que mon achat ne passe pas inaperçu. Quand notre tour est venu, elle est restée un peu en retrait, laissant croire que nous ne connaissions pas et qu’elle était la cliente suivante. La préposée s’est emparée de mon petit ensemble et a levé les yeux vers moi comme pour vérifier qu’il n’y avait pas d’erreur. « C’est pour vous ? ». J’ai marmonné un « oui » quasiment inaudible. Elle a souri. J’ai fait semblant de fourrager dans mon portefeuille. J’aurais donné tout ce que j’avais pour en finir et pour partir au plus vite. Elle a dû le sentir car elle a tout fait au contraire pour ralentir la cadence en m’expliquant à voix haute - afin que tout le monde entende - que ce modèle avait beaucoup de succès en ce moment, que j’avais fait le bon choix, que j’en serais assurément satisfaite, qu’il se lavait facilement, qu’en plus il était en promotion… Je bouillai s intérieurement et je sentais par-derrière les clientes se pencher sur le comptoir pour tenter d’identifier l’origine du ralentissement. Impassible, la caissière a poursuivi son petit manège, apparemment ravie de me retenir sur le grill. Après avoir fait semblant de ne pas pouvoir enlever les pastilles antivol, elle a cru nécessaire de vérifier qu’il n’y avait pas de défauts en tendant devant elle à bout de bras le soutien-gorge et le string. Je l’aurais giflée si j’avais pu. J’ai enfin pu régler mon achat. Il lui a fallu encore un temps fou pour le glisser dans une pochette et nous sommes sorties du magasin, après un dernier coup d’œil goguenard dans notre direction du vigile de faction à l’entrée.

Le contact de la rue m’a apporté une bouffée de fraîcheur salutaire. J’ai respiré à pleins poumons. Fière d’avoir réussi mon examen de passage. D’être admise enfin chez les grandes. Avec cependant l’impression diffuse que même dehors, mon épreuve n’était pas définitivement achevée. Il n’y avait qu’à constater la mine réjouie de quelques passants découvrant mon petit sac rose « Lily Lingerie ».

A mes côtés, Maîtresse Cindy était radieuse. Tout s’était très bien passé. Cette journ ée allait certainement marquer à jamais ma vie entière.

- Votre premier soutien-gorge, vous vous rendez compte ?

- Oh oui, Madame, je vais sûrement m’en souvenir longtemps !

- Pas longtemps, Claire, toujours ! On n’oublie jamais les premières fois.

Voilà, ma chère Sophie, maintenant, tu sais tout ou presque. Excuse-moi si j’ai été un peu longue, mais je n’ai pas de secret pour toi et je voulais te faire partager ce grand moment d’excitation et de bonheur.

A très bientôt.

Bises.

Claire

Par Claire Grenadine - Publié dans : Féminisation
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  • : 12/07/2009

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