l'éducation anglaise de claire grenadine
Salut Sophie,
J’ai une grande, très grande nouvelle à t’annoncer : j’ai fait récemment l’acquisition de mon premier soutien-gorge. Oui, tu as bien lu, mon premier soutien-gorge. Tu es la première à qui j’en parle. C’est tout frais, ça date de mercredi dernier. J’étais folle de joie. D’autant plus que je ne m’y attendais pas. Ou en tout cas, pas aussi tôt. Cet été, j’avais bien constaté dans la glace que ma poitrine avait grossi et que j’avais de plus en plus de mal à boutonner mes chemisiers mais les choses se sont précipitées le jour de la rentrée. « Un peu de silence, mesdemoiselles, mettez-vous en rangs pour la visite médicale ! » Nous voilà en petite tenue à attendre notre tour dans le couloir de l’infirmerie. Entre parenthèses, c’est tou jours Sœur Marie-Alphonse qui est aux commandes. Pareille à elle-même. Je peux même te confirmer qu’elle n’a pas profité de ses vacances pour se raser la moustache. Enfin bref, examen sous toutes les coutures, poids, taille, tension… Elle a annoté mon dossier en silence puis, derrière ses lunettes en demi-lune, j’ai observé ses yeux se poser longuement sur moi comme si quelque chose avait changé et que je n’étais plus la même.
- Vous grandissez, Claire, il est temps que l’on vous fasse porter un soutien-gorge.
J’ai bien aimé la formule. Comme si cette décision s’imposait à moi et que je ne pouvais plus m’y soustraire. J’ai répondu « Oui, ma sœur » en rougissant. Non pas parce que j’ai honte de grandir mais parce que je sentais qu’elle serait satisfaite si je réagissais comme ça. En fait et au fond de moi, j’étais super contente. Elle s’est empressée d’ajouter que ça tombait très bien, que demain nous étions mercredi et que Maîtresse Cindy se ferait certainement un plaisir de m’accompagner.
De retour à la maison, il a tout de même bien fallu que j’en dise un mot autour de moi. Sans éclat de joie mais en adoptant le ton neutre qui sied à la constatation d’une évidence. Cela devait bien finir pa r arriver. Ma maman n’a pas paru l’air surprise. Elle a même trouvé très bien que ce soit ma directrice qui s’en occupe personnellement. Tant mieux, avec elle, à coup sûr, je n’aurais pas eu un seul instant voix au chapitre. Elle m’aurait collé de force l’inévitable brassière ringarde à fleurettes en m’assurant que j’allais grandir encore et que c’était bien suffisant pour commencer.
Me voilà donc au collège, mercredi. Contrairement à ce que je prévoyais, Maîtresse Cindy m’a conduite directement en classe comme s’il s’agissait d’un jour de semaine ordinaire. Cela sentait l’entourloupe. Elle avait l’air sévère. Sans que rien avec elle ne soit jamais vraiment une partie de plaisir, je m’attendais tout de même à un accueil un peu plus chaleureux, d’autant plus que je m’étais résignée à filer doux pour mettre toutes les chances de mon côté. Elle m’a ordonné de me déshabiller et de ne conserver que ma petite culotte, puis de me mettre à genoux à ma place. J’ai soulevé mon pupitre pour en extraire mon cahier Clairefontaine bleu. Sur ses instructions, j’ai laissé une page vierge pour marquer le passage à la nouvelle année et j’ai inscrit en haut à droite la date du jour : mercredi 12 septembre. Comme elle tenait une feuille de papier à la main, j’ai subitement réalisé que nous allions faire une dictée et je me suis dit que décidément j’étais trop naïve. Que j’étais tombée tout droit dans un piège. Que l’histoire du soutien-gorge avait été montée de toute pièce pour m’attirer au collège et pour me punir dès mon premier jour de congé, afin de prendre les devants et de briser dans l’œuf toute tentative de rébellion de ma part.
Mais quand je l’ai entendue énoncer le titre de la supposée dictée, « Comment choisir sa bonne taille de soutien-gorge » ou quelque chose comme ça, j’ai vite changé d’avis. Pour une fois, il ne s’agissait pas d’un truc débile d’Albert Samain ou de Théophile Gautier sur le général Hiver saupoudrant les carreaux de givre et recouvrant la nature de son grand manteau immaculé. Elle ne m’avait pas raconté de carabistouilles. Au contraire, elle procédait en toute logique en commençant par définir les règles avant de passer à la pratique. Cela m’a rassurée. Elle me prenait sous son aile et acceptait de m’initier aux mystères des « grandes ».
Le texte recommandait de se munir d’un mètre de couturière et de prendre directement ses mesures sur le corps sans serrer. La première mesure, dite de « dessous de poitrine » ou de « tour de dos », effectuée juste sous les seins, permettrait de calculer la taille du soutien-gorge, tandis que la seconde, dite de « tour de poitrine », prise horizontalement au niveau de la pointe des seins, déterminerait la profondeur des bonnets. La combinaison de ces deux données renvoyait à un tableau de correspondance désignant les tailles à choisir. Pour finir, l’auteur de l’article insistait sur la nécessité de prendre ses mesures au moins une fois par an, et notamment chez les jeunes filles à l’occasion de la rentrée scolaire.
Maîtresse Cindy a découpé le tableau qui illustrait le texte et m’a demandé de le coller sur mon cahier. J’ai fait le nécessaire. Nous avons ensuite pris un exemple et elle a vérifié que j’avais bien assimilé la méthode de calcul.
Elle m’a alors autorisée à me relever et à l’accompagner à l’infirmerie, munie de mon cahier, de façon à passer aux travaux pratiques. Sur place, toutes sorte s de modèles de soutiens-gorges m’attendaient, déjà disposés sur la table. J’étais très excitée. D’autant plus qu’il y avait là, juste à côté, une grande glace dans laquelle j’allais pouvoir m’observer en pied.
Au début, j’ai cru que nous allions inverser les rôles. Que Madame la Directrice allait me demander de prendre ses mensurations à elle, de façon à s’assurer que je m’y prenais correctement et que le résultat de mes calculs était exact. Puisqu’elle connaissait déjà sa taille, mon échec ou mon succès aurait été immédiat. Mais j’ai vite compris que je faisais fausse route. Que nous n’étions pas là pour ça. Que je n’avais pas besoin de connaître ses mensurations. Que c’était à moi d’apprendre et pas à elle. Et qu’il n’était surtout pas dans le genre de la maison d’autoriser, pour quelque raison que ce soit, une élève à peloter - même sans en avoir l’air - les seins de sa Directrice.
A la place, Maîtresse Cindy m’a tendu son mètre afin que je prenne mon tour de dos. J’ai fait glisser le ruban autour de mon buste et l’ai ramené devant moi pour le lire. Durant toute l’opération, elle ne m’a pas quittée des yeux. Le verdict est tombé sans équivoque. J’avais tout faux. Le mètre était bien trop bas, il n’était pas plaqué à l’horizontale dans mon dos et il fallait qu’il soit parfaitement calé par-devant, « sous le pli des seins ». Sous le pli des seins, ça m’a fait tout drôle. Nous avons lu ensemble : 88-90 centimètres. J’ai consulté le tableau de correspondance et mon doigt s’est arrêté sur la taille 90.
Nous sommes alors passées à la deuxième mesure, juste au niveau de la pointe des seins. J’adore cette expression. Elle me fait terriblement fantasmer. C’est comme si j’avais subitement sous les yeux les mamelons dressés de Sophie Marceau et de Monica Bellucci réunies. La réalité s’est révélée nettement plus triviale. 90 centimètres aussi. C’est logique, m’a répondu Maîtresse Cindy dans un grand sourire. J’ai bien compris ce qu’elle voulait dire mais je me suis dit que ma cause n’était pas désespérée, que je n’en étais qu’au tout début de ma croissance et qu’au fil du temps, mes bourgeons printaniers ne tarderaient pas à s’épanouir. Selon les indications du tableau, c’était la pr ofondeur B qu’il fallait prendre pour cette taille.
Dans l’instant, rien ne pouvait me faire plus plaisir. Je connaissais enfin la taille de mon premier soutien-gorge. Il n’y avait plus aucun doute. Elle venait d’être dûment approuvée par une personne adulte. 90 B. 90 B. 90 B. Si je ne m’étais pas retenue, je crois que je l’aurais criée très fort, rien que pour le plaisir de l’entendre résonner contre les murs et me renvoyer en écho la certitude que je venais de franchir une étape importante dans ma nouvelle vie de femme.
Il ne nous restait plus qu’à confirmer en pratique la pertinence de nos calculs. Maîtresse Cindy m’a donc présenté plusieurs modèles en mettant l’accent sur leurs principales caractéristiques, enveloppantes, en triangle, à balconnets, avec ou sans armatures… de quoi me faire méditer sur la complexité du choix du soutien-gorge idéal. De toute évidence, une affaire purement féminine. Avec mes petits chemisiers blancs à cols ronds, je n’en étais pas encore à me poser toutes ces questions mais pour le reste et en fermant les yeux, je me trouvais déjà ailleurs, quelques années plus tard, dans le boudoir élégant et raffiné d’une boutique de lingerie chic, flottant dans un clair-obscur de soies crissantes, de jours-de-Venise et de dentelles ivoire...
Les blancs virginaux, les roses malabar, les noirs vénéneux, les rouges ardents, les vinyles galactiques, les transparents ensorceleurs… je les ai tous essayés. Ravie de pouvoir me contempler dans le miroir en train de les passer comme une grande, en joignant par-derrière les mains dans mon dos pour ajuster la bride. Pour éprouver la satisfaction de mettre en valeur mes seins en les faisant saillir. Pour tester mon pouvoir de séduction devant ce témoin muet et bienveillant. Complice, Maîtresse Cindy m’a laissée faire, sans doute heureuse elle aussi, de me sentir à l’aise. En définitive, il lui a semblé que le modèle rembourré à armatures conviendrait le mieux à ma morphologie.
J’ai constaté qu’elle me faisait essayer plusieurs 85, qu’elle pouvait observer comme moi qu’ils me remontaient trop haut par- devant, et qu’elle semblait un peu contrariée qu’ils ne m’aillent pas. Au fond, c’est vrai, 90, tu ne trouves pas ça un peu bizarre, toi ? Histoire de rigoler un coup, j’ai failli dire à Maîtresse Cindy que son tableau devait être inexact. Qu’on commençait forcément par un 85 quand c’était la première fois. Je ne suis pas certaine qu’elle aurait vraiment apprécié. En me foudroyant du regard, elle m’aurait répondu que décidément j’étais toujours aussi insolente, que je ne pouvais pas me retenir d’ergoter, qu’elle s’y connaissait tout de même mieux que moi et qu’elle n’avait de leçon à recevoir de personne dans ce domaine. Alors pour la faire bisquer, j’en aurais rajouté une petite louche en lui confiant qu’elle aurait pu s’en apercevoir un peu plus tôt parce que moi, quand je me regardais dans la glace, j’avais remarqué depuis longtemps que mon corps avait changé. De toute façon, je vais te dire, 90, je n’ai rien contre, bien au contraire. C’est même plutôt cool. A ce rythme-là, je devrais rapidement faire exploser les compteurs. Je te parie que je vais monter à 100 l’année prochaine. A la limite du retrait de permis !
Bref, près plusieurs tentatives infructueuses de 85, décidément trop courts, il est apparu à Maîtresse Cindy que c’était bien un 90 B qu’il me fallait. Alors, a-t-elle enchaîn é, d’un ton enjoué, il ne nous reste plus qu’à nous rendre dans un magasin pour en faire l’acquisition ! Je l’ai regardée fixement. Dans les yeux. Son sourire n’enlevait rien à sa détermination. J’avais du mal à y croire. C’était pour de vrai. Pour ne rien te cacher, j’y avais déjà pensé. Je lui en avais parlé. Elle avait deviné mon intérêt. J’espérais secrètement que mon incursion initiatique dans l’univers féminin se prolongerait sous cette forme. Tout en me rassurant en me disant que j’adorais me faire peur mais que je savais bien que je le jeu s’interromprait à l’issue des phases préliminaires, qu’elle n’oserait pas aller jusqu’au bout et que tout cela resterait du domaine du fantasme.
Sans trop comprendre ce qui m’attendait, j’ai renfilé mon uniforme et je l’ai attendue dans le hall du collège. Elle a refermé les grilles derrière nous et nous sommes sorties dans la r ue. Vacarme de la circulation. Un monde fou sur les trottoirs. C’était un peu stupide de ma part, mais consciente de ce que nous allions faire, j’ai eu l’impression que tous les gens que nous croisions et qui nous observaient en souriant le savaient aussi. Maîtresse Cindy se tenait à ma hauteur et a engagé la conversation. Toutefois, préoccupée par ce que je m’apprêtais à vivre, je me rappelle l’avoir écoutée d’une oreille plutôt distraite. Elle a eu le temps de me glisser qu’elle m’emmenait dans un magasin spécialisé, que ce serait mieux comme ça pour un premier achat, et que j’aurais bien le temps par la suite de choisir une boutique plus conforme à mes goûts. J’ai alors réalisé qu’elle parlait sérieusement, qu’elle avait sans doute déjà tout préparé et vérifié à l’avance et que rien n’avait été laissé au hasard. Pensive, je suis allée jusqu’à lui demander si la vendeuse avait été prévenue de notre visite. Mais elle s’est bien gardée de répondre.
Après une marche de quelques minutes, nous sommes entrées chez « Lily Lingerie ». Contrairement à mes espoirs, nous n’allions pas être les seules clientes. Les unes circulaient déjà autour des m annequins, retournaient les étiquettes, soupesaient l’étoffe des modèles, en appréciaient la texture, l’élasticité, la transparence, comparaient les formes et les couleurs, les décrochaient et les portaient à hauteur de leur buste pour s’imprégner d’une première image mentale dans le reflet d’un miroir. Anticipant, par exemple, l’effet irrésistible de tel ou tel décolleté pigeonnant vanté par le fabricant pour les échancrures carrées. Les autres plongeaient leurs mains dans les bacs et extirpaient tant bien que mal les pièces entrelacées dans l’espoir de trouver leur taille. Ma première impression a tout de suite été la bonne. Beaucoup de choix. Des couleurs vives. Fraîches. Acidulées. L’impression soudaine de me trouver dans une confiserie. Partagée entre le caprice de vouloir goûter à tout et la conscience attristée de devoir me restreindre.
Maîtresse Cindy m’a laissé faire en restant délibérément en retrait. J’ai rapidement compris que cet achat, personne d’autre que moi ne le ferait, qu’il fallait que j’aille jusqu’au bout de mon envie, que c’était avant tout mon soutien-gorge et qu’à ce compte-là, il était normal que je le choisisse moi-même. J’ai pensé aussi qu’en restant sciemment dans l’ombre, elle avait surtout dans l’idée de concentrer le faisceau du projecteur sur mes faits et gestes. Pour que l’on finisse par me remarquer. Et pour que toute ambiguïté sur la signification de notre présence soit levée. Je n’étais pas là pour la conseiller dans son choix à elle. Que je le veuille ou non, je tenais au contraire et pour une fois le rôle principal. En tant qu’accompagnatrice, elle se limiterait à me donner la réplique.
Nous avons parcouru méthodiquement chaque colonne, classée par couleur. J’ai vite fait de me repérer. Les petites tailles par-devant, les grandes par-derrière. Dans les roses pâles, il y avait un modèle qui aurait pu éventuellement m’aller mais il était vendu avec un boxer qui ne me plaisait guère. Quitte à choisir mon premier soutien-gorge, j’avais en tête de trouver un bas assorti, à mon goût. Un ensemble. Une parure. Quelque chose de très intime et de très féminin, que j’aurais porté avec plaisir et conservé avec le plus grand soin dans un tiroir de ma commode parfumé de petits sachets de lavande. Maîtresse Cindy a tout de même insisté pour que je le décroche.
Un peu plus loin, dans une tonalité de rose-rouge plus soutenue, j’ai repéré un modèle qui m’attirait davantage, assorti d’un petit string super mignon. Là encore, sur les conseils de ma Directrice, j’ai sélectionné un 90 B pour le haut et un 38/40 pour le bas. Petit à petit, les pièces de lingerie se sont accumulées sur mon bras et je me suis sentie de plus en plus gênée. D’un côté, je n’avais pas l’intention de me priver en opérant dès le départ une présélection trop restreinte, mais de l’autre, je me conduisais de plus en plus ouvertement comme une acheteuse à part entière, je pouvais de moins en moins me cacher. J’avançais en terrain découvert. Du coup, je me suis absorbée dans mon choix, histoire de fixer mon attention sur quelque chose pour éviter de rencontrer le regard surpris, voire amusé ou légèrement moqueur, des clientes.
Non seulement Madame la Directrice se gardait bien de m’aider à porter quoi que ce soit, mais il devenait de plus en plus évident que je finirais par devoir essayer tous ces modèles sur moi, quelque part dans une cabine. La hont e ! Je ne sais pas si l’on a vu le rouge me monter aux joues mais j’ai pressenti que j’allais au-devant de sérieux ennuis. Que le pire m’attendait. Un supplice insupportable car d’autres modèles m’attiraient encore. Notamment un petit rouge et noir très frais et impertinent, décoré de motifs tout droit sortis d’une bande dessinée. Il me plaisait beaucoup. Ma Directrice l’avait, semble-t-il, repéré aussi de son côté mais l’opération était sans espoir car il n’y avait pas ma taille ni de bas pour aller avec !
Maîtresse Cindy s’ingéniait apparemment à faire durer le plaisir. Non, je n’avais pas encore tout vu, oui, il fallait continuer à chercher car il y avait encore des modèles plus loin qui pourraient peut-être me convenir.
En poursuivant notre prospection, nous avons fini par trouver un modèle dans les écossais à fines rayures roses sur fond gris. A dire vrai, mon premier réflexe a été de l’éliminer mais en y réfléchissant un peu, et Madame la Directrice partageait mon sentiment, j’ai trouvé finalement qu’il était bien adapté à mon âge et à mon style. Autrement dit, brûlant les étapes, les modèles que j’avais sélectionnés jusque-là me renvoyaient inconsciemment une image de la femme déjà épanouie que je n’étais pas encore mais que je deviendrais sans doute un jour. Dans l’immédiat, c’était bien celui-là qu’il me fallait. Très simple. Très frais. Très innocent. Bien assorti à son appellation juvénile : « Charlotte ». Nos mains ont plongé à tâtons dans le méli-mélo du bac pour en extraire un soutien-gorge à ma mesure, et faute de trouver un 38/40 pour le bas, je me suis rabattue sur un 40/42, un string craquant, décoré d’un petit nœud noir par-devant et par-derrière. Pour me montrer que cette légère différence de taille resterait sans conséquence, Maîtresse Cindy n’a pas hésité à déplier un 38/40 dans une autre couleur. J’ai eu l’impression qu’elle le faisait moins dans l’idée de me convaincre à tout prix que de me placer délibérément dans une situation embarrassante. Il paraît que je suis perverse mais je crois que je ne suis pas la seule.
- Eh bien, maintenant que vous avez effectué votre choix, Claire, il ne vous reste plus qu’à essayer !
Elle rayonnait. Je suis devenue rouge pivoine ou peut-être même écarlate, difficile à dire, mais j’ai senti une énorme bouffée de chaleur me traverser de part en part. Je l’ai suivie un peu plus loin, mes petits dessous sur le bras, devant deux cabines dissimulées derrière un rideau couleur crème. Éclairage tamisé. Petit tabouret. Miroirs à panneaux latéraux mobiles pour se voir de profil. L’une d’entre elles était apparemment déjà occupée. Il m’a semblé entendre Madame la Directrice murmurer quelque chose à l’oreille de la vendeuse en me désignant du regard. Celle-ci lui a retourné un large sourire complice.
« Commencez par ce modèle », m’a-t-elle enjoint en tirant devant moi le rideau de la cabine disponible, « je vous attends ». J’ai commencé par ajuster le rideau. Tu sais, ce genre de rideau qui est toujours trop court d’un côté ou de l’autre à force d’avoir été manipulé dans tous les sens et qui est donc loin de t’assurer l’intimité dont tu as besoin. Il a fallu que j’en prenne mon parti et que je me décide malgré tout à me déshabiller et à enfiler mon petit ensemble. Restait ensuite à saisir le moment le plus opportun pour sortir discrètement. J’ai tendu l’oreille. Maîtr esse Cindy prenait visiblement un malin plaisir à marteler le sol de ses bottines noires pour me signifier son impatience. A côté, la situation ne s’arrangeait pas vraiment non plus. Ma voisine n’arrêtait pas d’entrer et de sortir pour se contempler dans le miroir en profitant au passage des conseils de son amie restée à l’extérieur. A entendre leurs fous-rires, elles avaient l’air de bien s’amuser. Je me suis alors décidée à me jeter à l’eau et j’ai tiré le rideau. A moitié seulement. Mais Maîtresse Cindy s’est empressée de l’écarter en grand.
- Enfin ! Vous en avez mis du temps !
Naturellement, elle ne s’est pas contentée d’entrer dans la cabine pour m’examiner mais elle m’a fait signe d’en sortir. J’étais paralysée et, j’imagine, rouge cramoisi. Les clientes qui passaient par là ont marqué un temps d’arrêt et m’ont déshabillée du regard des pieds à la têt e. Mes voisines de cabine, enchantées de l’aubaine, ne se sont pas gênées pour m’observer de leur côté. J’ai quitté malgré moi ma cachette. Avec une infinie prudence. Les sens en éveil. Le regard balayant systématiquement le magasin comme un radar, soucieuse d’éviter autant que possible les mauvaises rencontres. Tel un escargot prêt à rentrer dans sa coquille à la première alerte.
- Mais ne restez donc pas plantée là comme ça, je vous ai demandé d’avancer !
Comme je le craignais, Madame la Directrice m’attendait tout là-bas, à l’opposé, au bout du magasin, parce que soi-disant, il fallait qu’elle me voie évoluer pour se faire une impression d’ensemble. Plus vraisemblablement, je pense qu’à ce moment-là, son principal objectif était de m’exhiber pour me faire bien honte. Et bien entendu, je n’ai pas pu échapper à un essayage en règle de tous les modèles un par un, car chacun avait ses qualités mais aussi ses défauts, que le suivant gommerait peut-être, c’était le seul moyen pour ne pas se tromper, rien ne pressait, nous avions tout notre temps, il ne fallait pas bâcler un achat aussi important…
A force d’arpenter l’allé e dans tous les sens, de m’arrêter devant la glace, de repartir, je me suis sentie tellement gênée que je n’ai plus osé lever les yeux. C’était un peu comme si j’avançais sur un podium pour un défilé de mode. On aurait cru que toute la clientèle s’était donné le mot pour converger vers le rayon lingerie. Des commentaires goguenards et des rires étouffés s’attachaient à mes pas. A chaque fois que je faisais demi-tour pour regagner ma cabine, un sentiment étrange et indéfinissable m’envahissait. Comme si mille paires d’yeux étaient pointées sur le bas de mes reins, attentives à ne rien perdre du spectacle.
Madame la Directrice, ravie de la tournure que prenaient les évènements, n’a pas manqué d’accompagner mes essayages de nombreux commentaires. « Tournez-vous » … « Pas mal, pas mal »… Je ne savais plus où me mettre. Et comme cela ne lui suffisait pas, elle a appelé la vendeuse pour lui demander son avis. Celle-ci a tout de suite compris que son tour était venu d’entrer en scène. Et de jouer le personnage que l’on attendait d’elle. A mi-chemin entre l’experte technique et la psychologue féminine. Ses gestes étaient rapides et précis. J’ai senti ses doigts effilés parcourir ma peau, effleurer mes seins, ajuster une bretelle, descendre plus bas, remonter le long de mes cuisses nues, tendre les bords de mon string très haut sur mes hanches.
- Vous ne croyez pas que quelque chose d’encore plus échancré lui irait mieux ?
Madame la Directrice a acquiescé. Elle a ajouté : « Vous avez raison, quand j’y pense, ce serait même beaucoup plus pratique pour lui donner la fessée ! », et elles sont parties toutes les deux d’un grand éclat de rire.
En définitive, après de multiples autres péripéties qui n’ont fait qu’accroître mon malaise, c’est le modèle écossais « Charlotte » que nous avons retenu. Je me suis rhabillée le plus vite possible, soulagée. Ultime ou avant-dernière épreuve, Maîtresse Cindy m’attendait à l’extérieur de la cabine et m’a tendu les modèles que je n’avais pas retenus pour que j’aille moi-même les raccrocher sur les présentoirs au vu de tout le monde.
Puis, ultime étape de mon calvaire, nous nous sommes dirigées vers les caisses. La Directrice a naturellement choisi la file où il y avait le plus de monde afin que mon achat ne passe pas inaperçu. Quand notre tour est venu, elle est restée un peu en retrait, laissant croire que nous ne connaissions pas et qu’elle était la cliente suivante. La préposée s’est emparée de mon petit ensemble et a levé les yeux vers moi comme pour vérifier qu’il n’y avait pas d’erreur. « C’est pour vous ? ». J’ai marmonné un « oui » quasiment inaudible. Elle a souri. J’ai fait semblant de fourrager dans mon portefeuille. J’aurais donné tout ce que j’avais pour en finir et pour partir au plus vite. Elle a dû le sentir car elle a tout fait au contraire pour ralentir la cadence en m’expliquant à voix haute - afin que tout le monde entende - que ce modèle avait beaucoup de succès en ce moment, que j’avais fait le bon choix, que j’en serais assurément satisfaite, qu’il se lavait facilement, qu’en plus il était en promotion… Je bouillai s intérieurement et je sentais par-derrière les clientes se pencher sur le comptoir pour tenter d’identifier l’origine du ralentissement. Impassible, la caissière a poursuivi son petit manège, apparemment ravie de me retenir sur le grill. Après avoir fait semblant de ne pas pouvoir enlever les pastilles antivol, elle a cru nécessaire de vérifier qu’il n’y avait pas de défauts en tendant devant elle à bout de bras le soutien-gorge et le string. Je l’aurais giflée si j’avais pu. J’ai enfin pu régler mon achat. Il lui a fallu encore un temps fou pour le glisser dans une pochette et nous sommes sorties du magasin, après un dernier coup d’œil goguenard dans notre direction du vigile de faction à l’entrée.
Le contact de la rue m’a apporté une bouffée de fraîcheur salutaire. J’ai respiré à pleins poumons. Fière d’avoir réussi mon examen de passage. D’être admise enfin chez les grandes. Avec cependant l’impression diffuse que même dehors, mon épreuve n’était pas définitivement achevée. Il n’y avait qu’à constater la mine réjouie de quelques passants découvrant mon petit sac rose « Lily Lingerie ».
A mes côtés, Maîtresse Cindy était radieuse. Tout s’était très bien passé. Cette journ ée allait certainement marquer à jamais ma vie entière.
- Votre premier soutien-gorge, vous vous rendez compte ?
- Oh oui, Madame, je vais sûrement m’en souvenir longtemps !
- Pas longtemps, Claire, toujours ! On n’oublie jamais les premières fois.
Voilà, ma chère Sophie, maintenant, tu sais tout ou presque. Excuse-moi si j’ai été un peu longue, mais je n’ai pas de secret pour toi et je voulais te faire partager ce grand moment d’excitation et de bonheur.
A très bientôt.
Bises.
Claire
Si, si, je vous assure, elle est hyper sévère !
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J'ai été très heureuse de recevoir ton courrier. Je l'ai lu avec un très grand plaisir. Comme d'habitude, il est fort bien écrit et plein d'humour ! Moi qui aime rire, je suis servie ! C'est formidable. Un vrai régal.
Ta petite promenade pour te rendre dans les magasins de lingerie m'a rappelé une escapade avec Maîtresse Cindy. Devant s'absenter impérativement, elle décida, au lieu de me laisser seule durant une heure au Collège, de m’emmener avec elle et de me déposer dans une brasserie avec la consigne d’y terminer les devoirs de maths et de français qu’elle m’avait donnés. II ne faut pas perdre inutilement son temps, n'est-ce-pas ? J'avais revêtu mon uniforme pour sortir, à une particularité près, très piquante, le mot n'est pas trop fort, puisque Madame la Directrice avait glissé dans ma culotte une.....grosse poignée ......d'orties !!! Elles étaient fraîches et donc d'une efficacité remarquable. Elle avait trouvé cette idée géniale... Ayant terminé ce qu’elle avait à faire, elle me reprit à la brasserie et nous retournâmes au Collège, moi toujours avec les orties sur les fesses. Le soir, après le dîner, je dus revêtir ma tenue de nuit et me présenter à l'infirmerie où la Maîtresse m'attendait, des papiers à la main. Je les reconnus immédiatement, il s'agissait des devoirs que j’avais effectués à la brasserie. Sur son ordre, je dus me mettre en position conforme. Elle me détailla les résultats de mes devoirs. Une véritable catastrophe, une nullité intégrale, à l'entendre. J'essayai de me défendre, de démontrer que j'avais répondu correctement aux questions posées, rien n'y fit. Ma Maîtresse se montra inflexible. Le « correctement » fut remplacé par le mot « correction » !!! Et crois-moi, elle fut terrible. Je reçus fessée sur fessée.
Je suis plus âgée que toi, cela fait donc un certain temps que je porte un soutien-gorge. Je n'ai pas eu à l'acheter en compagnie de Maîtresse Cindy mais avec ma mère. Je n'ai pas été gâtée, c'est le moins que l'on puisse dire. Nous sommes rentrées, ma mère et moi, avec un soutien-gorge et une culotte bien enveloppante, cachant bien mon popotin. Le tout de couleur blanche, acheté au supermarché du coin. Pas question d'essayage dans le magasin. Une jeune fille de bonne famille ne dévoile pas ses charmes devant tout le monde. Ma mère est du genre rétrograde !!!...Maintenant, je prends quelques libertés avec la morale ....mais je reste discrète. Au moins toi tu as réussi à avoir une tenue sexy, grâce à Maîtresse Cindy. C'est le côté positif, même si cela s'est passé dans des conditions difficiles....A te lire, j'imagine facilement ta honte en étant obligée de te promener dans la boutique en petite tenue (string et soutien-gorge uniquement) sous le regard amusé et moqueur des clientes, accompagné souvent de remarques acides de la Directrice. Se faire tripoter par la vendeuse qui suggère innocemment (?), pour le plus grand plaisir de Maîtresse Cindy, de te voir porter un string plus échancré. Cette dernière, tout émoustillée, du moins je le pense, rétorque « Oui, cela sera plus pratique pour lui donner la fessée ! » A ta place, j'aurais probablement cherché à m'enfuir, couverte de honte. Je sais bien que cela aurait été stupide de ma part. Cela n'aurait rien changé. Au retour au collège, j'aurais reçu une correction magistrale dont je me serais souvenue toute ma vie et j’aurais été sans doute contrainte de retourner à la boutique, peut-être même sans culotte, pour terminer les essayages et, pourquoi pas, recevoir une fessée déculottée devant le personnel du magasin pour le motif impardonnable de ma désobéissance caractérisée...
J'écris, j'écris, je n'arrive plus à m'arrêter ! Allez, je vais prendre une bonne décision, je termine ma prose ici après t'avoir félicitée pour les belles illustrations de ton courrier.
A bientôt.
Bises.
Sophie