L'éducation anglaise de Claire Grenadine
Bon voilà, autant vous le dire tout de suite, quitte à faire des envieux et des envieuses (c’est pour ça que j’en rajoute un peu), vous ne pouvez pas savoir ce qui vient de m’arriver. J’ai bénéficié d’une faveur inouïe : celle de partager une journée entière avec Maîtresse Cindy. Oui, vous avez bien lu, une journée entière, rien que nous deux. Et pas au fond d’un cachot à l’abri des murs épais d’un donjon quelque part à Paris, si vous voyez ce que je veux dire. Non, tout au contraire, à l’air libre, en province, au bord de la mer…
Mais avant de vous dérouler mon histoire, je souhaiterais clarifier un point car il me revient qu’un certain nombre de mes lecteurs ou de mes lectrices s’interrogent sur l’authenticité de mes propos. C’est vrai, tout ce qu’elle raconte sur son blog, Claire ? Elle n’affabulerait pas un peu, par hasard ? La question a été plusieurs fois posée à Maîtresse Cindy. Je n’invente rien, c’est elle-même qui me l’a rapporté.
Je me sens donc l’obligation d’y répondre et je le fais d’autant plus volontiers que j’ai plusieurs choses à dire sur le sujet.
Si j’écris, c’est d’abord et avant tout dans le but de conserver des souvenirs des moments agréables que j’ai partagés avec ma maîtresse et de pouvoir ainsi les revivre à loisir comme si je feuilletais un livre.
Mais il y a également d’autres raisons. Je ne cacherai pas, par exemple, que ce besoin satisfait mon côté « exhib ». De la même façon que j’aime me montrer, j’affectionne de décrire les situations dans lesquelles je me trouve.
Et puis, comme toutes les timides, j’ai plus de mal à m’exprimer par oral que par écrit. L’écrit facilite la synthèse. Il permet le recul et l’audace. Il n’exclut pas non plus l’humour. On écrit bien mieux qu’on ne dit. On ose tout ce que la voix bannit.
Inutile non plus de nier que l’écriture est un moyen privilégié pour moi de faire passer des messages à ma maîtresse. Difficile, en effet, dans le feu de l’action, de ressentir une sensation, une émotion, de capter une image, un son, et de les commenter en même temps. Dans ces moments-là, je suis plongée en apnée dans le monde du silence. L’intervention de la voix ou d’un dialogue aurait au contraire pour résultat de provoquer des parasites sur la ligne, de briser l’atmosphère. Il ne faut pas mélanger les genres. Ce n’est que lorsque je suis revenue à la surface qu’il me vient l’envie de m’exprimer. Plus que l’envie, le besoin incoercible de reprendre ma respiration et de restituer ce que j’ai emmagasiné. Je peux alors laisser à ma plume le soin de décrire ce que j’ai éprouvé, ce que j’ai aimé, ce qui m’a surprise, émue, enthousiasmée… Pour moi, il est très important que ma maîtresse le sache. Le SM n’est pas un jeu ponctuel entre deux acteurs anonymes. Bonjour, au revoir et merci. Il doit être au contraire au centre d’une écoute mutuelle appelée à s’approfondir et à se renforcer dans la durée.
Il y a donc l’art et la manière de le dire. Ou plutôt de l’écrire. Je ne cherche pas à être la plus complète ou la plus précise possible car à mon avis, la description du fantasme se prête mal à la forme rigide du procès-verbal, façon constat de gendarmerie. La sensibilité et l’imagination ont au contraire besoin d’espace et de liberté pour s’épanouir. Le SM est un exercice qui permet de sortir de soi-même et d’extérioriser ses sentiments. L’écriture constitue un moyen supplémentaire pour accéder à ce résultat.
J’ajouterai que le travail auquel je me livre est en tout état de cause effectué sous haute surveillance, à l’exemple des autres devoirs sur table rédigés au Severity College. Je soumets systématiquement, en effet, mes textes à Maîtresse Cindy avant de les mettre en ligne. Si elle les jugeait inexacts ou hors de propos, elle ne manquerait certainement pas de m’inviter à les corriger. C’est en quelque sorte le résultat d’un accord entre nous. Mon blog est le fruit d’une réflexion commune. Nous choisissons de concert les textes qui le composent. De mon point de vue, il est normal qu’elle y soit pleinement associée car à travers mes récits, c’est aussi son savoir-faire et son image qui sont mis en lumière.
Revenons maintenant au sujet. Que vous me croyez ou non, notre petite aventure au bord de la mer date du 20 juillet dernier. C’était un mardi. Et pour vous donner quelques éléments de contexte - je n’ai pas dit de vraisemblance car l’histoire qui va suivre est tout à fait authentique -, elle s’inscrit dans le cadre particulier de ma scolarité au Severity College. Chaque année, Madame la Directrice organise une sortie avec sa classe pour marquer la fin des cours et le début des vacances. Je dois à la vérité de reconnaître que toutes les élèves n’y sont pas conviées mais je m’empresse aussitôt d’ajouter que ce ne sont pas forcément les meilleures qui sont retenues. Tenez, moi par exemple, le jour même de cette sortie, Maîtresse Cindy me présentait comme « une chipie impertinente et très bavarde » dans l’émission de France Inter « Les Persifleurs du Mal ». Pas vraiment le chouchou de la classe, Claire, disons plutôt quelqu’un qui a de la personnalité et qui ne se laisse pas faire. Pour ma maîtresse, l’élève idéale à dresser et à soumettre. Nous sommes donc faites pour nous entendre.
En résumé, toute cette journée a été organisée à la façon d’un jeu de pistes, avec ses énigmes et leurs lots inévitables de surprises. Rien de tel pour éveiller l’imagination d’une jeune fille. Une totale réussite.
Je suis partie à l’aventure sans rien savoir de ce qui allait m’arriver. On n’insiste peut-être pas assez sur ce point mais la sécurité offerte par une dominatrice professionnelle constitue une garantie essentielle. Autrement dit, je n’aurais certainement jamais osé ce que j’ai fait avec quelqu’un en qui je n’aurais pas eu pleinement confiance.
Pratiquement aucun indice pour commencer. Simplement un message daté d’il y a plusieurs jours, ou plutôt une convocation laconique : 8h53 à la gare Saint-Lazare. Le lieu de départ, je m’en doutais, je l’avais deviné, ce qui m’avait permis de me préparer mentalement à une vraisemblable escapade en Normandie. Mais pour le reste, bernique, mystère total, j’avais eu beau tenter l’impossible pour essayer d’en savoir davantage, Maîtresse Cindy était restée de marbre. Peu importe, au fond, c’est encore plus excitant lorsque l’on ne sait rien. Je prends le bus pour me rendre au rendez-vous fixé. Temps magnifique. Ciel dégagé. La journée devrait être agréable et même sans doute très chaude.
Arrivée sur place, échange de textos avec Madame la Directrice :
- « Je vous attends à la terrasse du café « Au départ », rue du rocher, devant l’arrêt du 28. A tout à l’heure. CG »
- « Bjr, je serai là dans 10 mn environ. En début de quai, prête à l’embarquement. A tout de suite. MC ».
Compte tenu de l’heure, je remballe ma proposition de café et me dirige sans plus tarder vers le panneau des départs.
Aucun train programmé à 8h53 pour les destinations de proche banlieue. Interrogation angoissée de l’hôtesse d’accueil qui me retourne ma question : pour quelle destination ? Je m’y attendais. C’est bien le problème ! Impossible de répondre. Elle consulte ses listes. A cette heure-là, il y en a un pour Le Havre, quai 23, plus loin, au niveau des grandes lignes. Soulagement. Le jeu se met en place au fur et à mesure que le décor se précise. Satisfaction personnelle aussi. Le cap sur la Normandie se confirme. Pour le moment, j’ai tout bon. Je me dirige vers le quai 23 et patiente comme convenu, devant le panneau d’affichage. Le train 3105 est là. Arrivée prévue au Havre à 11h00, soit 2h07 maximum de trajet si du moins nous allons jusqu’au terminus. C’est un des éléments du puzzle qui me manque. Je commence à gamberger ferme. Quatre arrêts sont indiqués : Rouen, Yvetot, Bréauté-Beuzeville et Le Havre. Où m’emmène-t-elle ? J’élimine mentalement Rouen et Le Havre (trop grandes villes), exclus la 3ème (le nom du patelin ne me dit absolument rien) et opte pour Yvetot. Yvetot, c’est bien comme nom, ça fait vraiment Normand et campagnard ! En se penchant un peu, ça sentirait presque le camembert !
Mais la journée qui débutait à un rythme tranquille se met à s’accélérer brusquement. SMS et appels téléphoniques se succèdent. Je ne prête pas attention à la sonnerie de mon mobile. Bruit de la gare environnant ? Émotion ? Peut-être les deux à la fois ? Il ne nous reste plus que 13 minutes.
- 8h40 : « Oui, Claire, alors autre info, vous allez vous rendre à la voiture 12 et vous asseoir à la place 26. Rappelez-moi de façon à ce que je puisse voir si vous avez bien reçu ce message. Voiture 12, place 26. Merci. »
- 8h42 : nouvel appel : « Mademoiselle Claire Grenadine, si vous n’êtes pas attentive aux informations, vous allez recevoir une fessée en public. Rappelez-moi pour me dire que vous avez bien reçu mon message vous demandant de monter en voiture 12 et de vous asseoir à la place 26. »
- 8h50 : « Mademoiselle Grenadine, il faut être joignable minute par minute. Donc le contrôleur est au courant. Il a votre billet. Il vous trouvera et vous le remettra. Bon voyage. »
Je croyais que nous allions nous retrouver sur le quai mais apparemment il y a un contrordre. Revirement inattendu et soudain, histoire de dramatiser la situation ? Dans ce domaine, ma maîtresse n’en est pas à son coup d’essai. J’ai du mal à suivre. Peu importe, le temps presse, je monte dans la voiture 12 et je m’installe à la place 26, côté couloir. Côté fenêtre, un jeune homme est déjà assis, baladeur collé aux oreilles. Plus vrai que nature. Pas spécialement la dégaine du complice. En tout cas, s’il est de mèche, il joue son rôle de parfait inconnu avec un naturel confondant. Sa présence accroît plutôt mon embarras. Apparemment, ma directrice n’a pas bluffé. Il se confirme qu’elle ne va pas voyager en ma compagnie. J’en déduis qu’elle a finalement choisi de m’attendre à l’arrivée. Oui, ça doit être ça, je suis téléguidée sans le savoir. C’est nouveau, ça vient de sortir, c’est ce que l’on appelle la domination à distance. A la réflexion, elle a dû brusquement changer d’avis et s’être mise d’accord avec le contrôleur. Au cours du trajet, ce dernier entrera en contact avec moi et m’indiquera où je dois descendre.
- 8h53 : le train s’ébranle. Je pars. Seule. Pas plus de Maîtresse Cindy que de beurre en broche. Petit moment de solitude. Légère tension. L’aventure commence fort. Ne pas s’inquiéter. Se détendre. Tout est certainement sous contrôle. Penser à toutes les bonnes choses qui m’attendent. Mais si la suite est du même tonneau, je ne suis pas au bout de mes surprises.
- 8h56 : texto confirmant mon intuition : « Bon voyage, je vous réceptionne à l’arrivée. Le contrôleur vous indiquera là où vous devez vous rendre ».
Quelques minutes s’écoulent. Coup de théâtre. J’entends une voix dans mon dos. Pas besoin de me retourner. Cette voix, je la reconnaîtrais entre mille. C’est bien celle de Maîtresse Cindy. « Excusez-moi, Monsieur, je suis à cette place » dit-elle en s’adressant à mon voisin. Elle doit être la première étonnée de le voir à cet endroit. Du coup, je comprends que je me suis fait balader depuis le début, qu’elle était là, à proximité, qu’elle surveillait mes mouvements, qu’elle m’avait vue monter, qu’elle me savait à ma place, que l’histoire du contrôleur était totalement bidon. Juste un moyen pour me mettre en condition. Une petite injection de stress pour la route. Je l’aide à monter un volumineux sac à dos au-dessus de nos places. Il est sûrement rempli d’accessoires et de tenues variées. J’entrevois un canotier qui dépasse.
Elle s’installe. Je suis contente de la retrouver. Elle porte un tricot multicolore et bariolé. Plus discret, tu meurs. Et un chemisier noir sur un corsaire blanc très moulant. Si, si, très moulant. Légèrement hâlée. Elle est superbe. Son parfum m’enveloppe. J’adore ! Nous reparlons de la pluie de messages qu’elle m’a adressés il y a quelques minutes. Je dois bien reconnaître que j’ai loupé la plupart d’entre eux. Pas vraiment à la hauteur, Claire ! Disons, pour tourner la situation à mon avantage, que c’était ma façon involontaire de la mettre en condition aussi, de mon côté. Sans le chercher, mon silence ou ma lenteur à lui répondre a dû l’exaspérer. Mais aux réflexions que je lui livre à propos de notre destination et mon option pour Yvetot, elle ne réagit pas. Nous verrons bien. Le mystère continue.
Notre trajet sera, pour ce qui me concerne, consacré à des travaux scolaires. N’oublions pas qu’il s’agit d’une sortie de fin d’année et qu’il convient de préparer celle-ci avec soin. Maîtresse Cindy a pensé à tout. Il ne faut pas que je perde la main. Elle extrait de son sac une liasse de feuilles blanches et un stylo. J’ai pour consigne de décrire les fantasmes qui me sont venus à l’esprit dans la perspective de ce voyage. Commande inattendue mais exercice à ma portée. Elle le sait, j’ai beaucoup fantasmé sur le sujet. Car le jeu a commencé bien avant ce mardi 20 juillet, sous la forme d’indications habilement distillées dans les propos de ma maîtresse au hasard de nos conversations ou de nos courriers.
Tandis que j’inscris le titre de mon devoir, «Le grand voyage ou la montée des plaisirs », Maîtresse Cindy se plonge dans la lecture du livre « O Verlaine » de Jean Teulé.
Cette sortie de fin d’année, je l’attendais avec impatience mais je n’imaginais pas qu’elle allait prendre une tournure aussi originale. Et pourtant, nous en avions déjà faites, des expéditions imprévues. Mais jusqu’à ce jour, nous étions toujours restées à Paris. Cette fois, ce serait autre chose. Toute une journée ailleurs. Mais où précisément ? A la campagne ? A la mer ? Le plus fort du fantasme, c’est surtout avant, quand tout est encore possible. Quand il n’y a pas de limites. Quand vous commandez à la réalité. Quand vous avez l’impression qu’elle va vous obéir. Quand vous avez toutes les bonnes raisons de croire que la seule option qui va se matérialiser est précisément celle à laquelle vous avez pensé.
Mon imagination gambade dans un décor de rêves comme la petite biquette de Chagall dans le firmament étoilé de ses tableaux.
Trois visions successives ont illuminé le ciel de mes fantasmes.
Dans la première, Maîtresse Cindy m’emmenait au bord de la mer. Difficile d’y croire mais j’associais à cette possibilité la remarque qu’elle m’avait faite un jour sur l’opportunité, là où nous irions, de prévoir un short, des espadrilles et des lunettes de soleil. Pourquoi pas ? Mais a priori, nous n’irions pas là-bas uniquement pour nous livrer à un concours de pâtés de sable. Mon fantasme s’est alors remis en marche et j’ai pensé à une plage naturiste ou « coquine », le genre d’endroit où les adultes se livrent à des jeux particuliers derrière les parasols ou à l’abri des dunes, ou bien tout simplement devant tout le monde. Le lieu de rencontre magique au carrefour des obsessions des exhibitionnistes et des voyeurs. Possible mais risqué. J’y allais peut-être un peu fort. D’une part, des plages naturistes en Normandie, il ne devait pas y en avoir beaucoup. Pas vraiment la région idéale pour s’exhiber en petite tenue. D’autre part, il y a des jeux auxquels il est interdit de se livrer en public. Je faisais peut-être fausse route. Impossible de savoir. A toutes fins utiles, j’ai tout de même apporté ma tenue de sport fétiche : un ravissant petit ensemble gris clair gansé de rose (mini short et brassière assortie) et une paire de socquettes blanches. On ne sait jamais.
Il m’est alors venu une deuxième idée, celle-là inspirée d’un échange de courrier avec Maîtresse Cindy dans lequel celle-ci m’annonçait à coup sûr « une fessée devant témoins ». J’en ai déduit un cadre plus intime, pas nécessairement au bord de la mer. Plutôt dans une maison à la campagne, chez des connaissances mises dans la confidence. Et là, une association d’idées m’est venue à l’esprit… Pourquoi pas chez Aurore et Yo. Apparemment, Aurore est une très bonne amie de Maîtresse Cindy. A mon avis, une amie de longue date, d’enfance ou d’adolescence, suffisamment intime avec elle pour l’appeler par son prénom, la tutoyer et terminer ses messages par « Bise à vous deux ».
Là aussi, possible, mais pas sûr à 100%. Claire, il faut que tu gardes la tête froide. Passe ton fantasme au crible de la vraisemblance. Celui-ci est-il plausible en regard des traits de caractère que tu as identifiés chez ta maîtresse ? Rien n’est moins sûr. Je verrais mieux que Maîtresse Cindy s’attache à opérer une coupure totale entre son activité professionnelle et sa vie privée. Pour préserver son intimité. Pour empêcher la forêt envahissante des fantasmes de ses partenaires de déborder sur sa sphère personnelle. Peut-être plus facile à poser comme principe qu’à appliquer dans la vie de tous les jours. A mon avis, vu la profession qu’elle exerce, cette séparation est difficile à effectuer et je pressens qu’elle n’est pas toujours en mesure de le faire. Et puis, pourquoi associer Aurore et Yo à ses jeux ? C’est une chose pour eux de connaître l’activité de leur amie et une autre de s’y intéresser, voire d’y participer. Il y a quelque chose qui cloche. Je suis sans doute sur une mauvaise piste. Dommage, Aurore et Yo, sans que je les connaisse, me sont sympathiques. Peut-être parce qu’ils portent l’un et l’autre des prénoms inhabituels et que cette qualité reflète sans doute aussi une vie intérieure originale.
10h.25. Nous arrivons en gare d’Yvetot. Pas plus qu’à Rouen précédemment, Maîtresse Cindy ne manifeste le moindre mouvement pour se lever en vue de descendre du train. Pourtant, Yvetot, je le sentais bien. C’est raté. Il ne nous reste plus que deux arrêts. Je peux encore me rattraper. Avec une chance sur deux pour me tromper une nouvelle fois. Non, pour l’heure, ce qui occupe Maîtresse Cindy, c’est de tenter de capter France Inter à travers les oreillettes du transistor que j’ai emporté. Peine perdue, nous avons beau régler le poste dans tous les sens, rien ne sort, et pas uniquement à cause de ces maudits tunnels qui perturbent la réception. C’est à croire que la modulation de fréquence est réservée aux salons parisiens. Pourtant, l’heure est grave. Dans quelques instants, nous devrions entendre sa voix dans une séquence de l’émission « Les Persifleurs du Mal » qui lui est consacrée et, par la même occasion, la mienne aussi peut-être puisque j’ai été conviée à y participer avec deux autres de ses partenaires de jeu. L’impatience de ma maîtresse est compréhensible. C’est un moment important pour elle que nous vivons en direct. Elle n’a pas assisté au montage et ne connaît donc pas comment l’émission est structurée ni les passages qui ont été finalement retenus. Grésillements inaudibles. La seule station que nous arrivons à peu près à capter semble être France Culture où des invités échangent doctement sur l’œuvre d’Albert Camus. Pour l’instant, nous devrons nous contenter de crachouillis et de grésillements. Maîtresse Cindy semble en prendre son parti. En tout état de cause, son émission, elle pourra l’écouter plus tard en différé, dans de bien meilleures conditions.
Alors, en attendant, revenons à la préparation de ce voyage et au troisième fantasme qui m’a traversé l’esprit, au point d’éliminer tous les autres et de s’imposer comme le seul et unique scénario possible. C’est le fantasme à l’état pur mais toujours appuyé sur des éléments cohérents pris dans la réalité de ma vie d’étudiante : le plaisir extrême que je prends à recevoir des fessées, la propension inconsidérée que je manifeste à exhiber mes fesses en public, la menace exprimée par ma maîtresse de devoir me corriger devant témoins…. Alors voilà : de même qu’il en existe en Angleterre et en Allemagne, il y a peut-être aussi quelque part en France un établissement spécialisé dans la rééducation des élèves difficiles. Une vraie école en dur. Une sorte de Severity College bis mais en province. Oui, c’est certainement là que Maîtresse Cindy me conduit.
J’imagine déjà la scène. Une haute grille en fer forgé laissant entrevoir la profondeur luxuriante d’un grand parc. Avec une allée sinueuse bordée d’arbres centenaires. Et tout au bout, une bâtisse à la fois imposante et austère. Le tout enveloppé d’un silence oppressant que vient furtivement égayer le timbre cristallin d’une sonnerie de cuivre. Une soubrette court vêtue nous ouvre et nous introduit sans un mot au fond d’un long couloir dans le bureau de la responsable de l’établissement. Maîtresse Cindy me pousse en avant. « Je vous amène Claire, Claire Grenadine, une élève particulièrement insolente et dissipée. Je suis sûre que le programme que vous avez préparé à son intention lui fera le plus grand bien. Avec elle, n’hésitez surtout pas à faire preuve de la plus extrême fermeté. Elle en a grand besoin. Je reviendrai la chercher ce soir et, si vous en êtes d’accord, nous ferons le point sur la façon dont s’est passée sa journée. » Esquisse d’un sourire. Les deux femmes se sont comprises à demi-mot et s’échangent une poignée de mains symbolique. Passage de relais. Ma maîtresse fait demi-tour et s’en va sans m’adresser le moindre regard. La porte se referme sur ses pas. Le silence s’installe à nouveau. Pesant. Me voilà seule désormais. Mon aventure commence…
Et nous arrivons en gare de Bréauté-Beuzeville. Il est 10h39. Bréauté-Beuzeville, vous connaissez, vous ? Jamais entendu parlé. Avec un nom à coucher dehors comme ça, il faut vraiment être une maîtresse sadomasochiste pour vouloir descendre. Nous descendons tout de même mais c’est encore une fausse piste. Il ne s’agit pas de notre destination finale. Correspondance par car pour Fécamp à 10h50. L’image de la maison de correction s’éloigne brusquement. Celle de la maison de campagne aussi. Finalement, c’est ma première intuition qui était la bonne. Le car nous emmène au bord de la mer ! A la plage ! Je n’ose pas y croire.
Le rêve continue. Car j’en suis déjà sûre, on ne m’a pas tout dit, je n’ai encore rien vu…
à suivre…