L'éducation anglaise de Claire Grenadine
C’était à la fin.
Oui, c’est ça, tout à fait à la fin.
J’étais encore à l’infirmerie. Allongée sur la table pour la visite médicale. Je me souviens que ma culotte était baissée et que je n’avais pas le droit de la remonter. L’infirmière m’a auscultée et m’a posé des tas de questions indiscrètes. Quand elle a abordé le chapitre de mes relations avec les garçons, je n’ai plus su où me mettre. En répondant à côté, j’ai cherché à noyer le poisson. Mais elle s’est montrée insistante. J’avais chaud. Il régnait dans la pièce une odeur entêtante d’éther, de camphre, d’eucalyptus et de menthol. Je crois que je suis tombée dans les pommes. Ou presque. Quand j’ai recouvré mes esprits, elle était toujours là. J’étais étendue à ses pieds. A l’extrême pointe de ses escarpins noirs. Le dos posé sur les dalles glaciales du carrelage. Elle me dominait, les jambes largement écartées de part et d’autre de mon corps. Sa blouse blanche ultra courte dévoilait ses cuisses fermes. Superbes. Impudiques. Je me suis fait la réflexion qu’elle ne devait peut-être rien porter dessous. Au-dessus d’elle, le grand disque blanc du projecteur m’éblouissait de sa lumière crue.
Et puis là-bas, par-derrière, la cloche a retenti. J’ai sursauté. Comme brutalement arrachée à mon rêve. A travers la cloison, me sont parvenus des bruits assourdis. Une sorte de brouhaha diffus. Le claquement des pupitres. La chute du tampon pour effacer le tableau. Quelques rires étouffés. Les rappels à l’ordre de la surveillante. Les pas de mes camarades descendant les escaliers. Suivis de leurs cris aigus dans la cour de récréation.
Le silence est retombé. Pesant. J’étais seule avec elle. Mon cœur battait. J’ai déposé un baiser au creux de sa cheville et je me suis relevée à sa hauteur.
Nous nous sommes fixées longuement. Intensément. Dans le blanc des yeux. Comme si nous continuions à partager sans rien dire l’histoire que nous venions de vivre. Tandis que mon cerveau frémissait encore des émotions qui l’avaient traversé. Quand le jeu était devenu un peu plus qu’un jeu. Que le temps ne comptait plus. Et que nous étions déjà très loin. Ailleurs.
Je me souviens qu’elle m’interrogeait et que je restais muette.
- Claire, vous me direz à quoi vous pensiez, ce que vous ressentiez.
Son regard était concentré. Grave. J’ai tout de suite compris qu’il se passait quelque chose. Qu’elle accordait beaucoup de prix à ce qu’elle me demandait. Qu’elle ne trichait pas. Que ce n’était pas simplement de la curiosité de sa part. Mais une vraie question. Tendue par le souci de partager complètement ce que nous avions vécu. Jusqu’à son dénouement ultime. Un besoin impérieux pour elle aussi de ne pas en rester là. D’aller jusqu’au bout. De savoir.
- Vous m’écoutez, Claire ?
Mon silence exprimait non pas mon refus de lui répondre mais mon incapacité à traduire par des paroles ce que je venais de vivre. Parce que ce n’était pas le moment. Parce que je volais encore très haut, au dessus des nuages. Parce que tout s’était accumulé dans mon esprit et que je ne savais pas par quoi commencer. Par pudeur aussi.
A défaut de le livrer à chaud, là tout de suite, je pourrais peut-être le poser par écrit. Un peu plus tard. A tête reposée. Si je trouvais les mots pour le dire. Je n’en étais pas sûre.
- Eh bien, vous reviendrez demain nous raconter tout ça.
- Mais madame, demain c’est mercredi.
- Taisez-vous, petite insolente, justement cela vous fera le plus grand bien.
J’ai failli répondre mais je me suis retenue. De toute façon avec elle, quoi qu’on dise, on a toujours tort.
C’est triste le Severity Collège le mercredi. J’ai sonné à la grille. La directrice est venue m’ouvrir. Un petit air moqueur flottait sur ses lèvres. J’ai traversé la cour, ramassé au passage un marron - ça peut toujours servir – et pénétré dans la classe. Le parquet venait d’être astiqué. Il sentait bon la cire. La planche en couleurs sur l’appareil urogénital chez la femme était encore suspendue au mur.
Je me suis assise à ma place, au premier rang. J’ai soulevé mon pupitre. Les fraises Tagada avaient disparu. Il restait juste un nounours rouge, tout au fond, à côté de mon tube de colle. J’étais sur le point de le manger en douce quand il m’a fait un clin d’œil. Complice. Solidaire. Du coup, j’ai préféré le garder. Pour me tenir compagnie. Ensuite j’ai ouvert mon cahier bleu Clairefontaine à grands carreaux en laissant une page blanche après le croquis sur le cerveau. Derrière son bureau, Maîtresse Cindy me surveillait. Le temps m’a paru interminable. Il m’était impossible de rassembler mes idées.
J’avais du mal à le reconnaître mais je crois qu’au fond de moi, j’étais tout simplement heureuse d’être restée moi-même. Confirmée dans le sentiment que je ne vivais pas à côté de mon personnage mais que je l’habitais tout entier. Qu’il s’imposait en quelque sorte à moi parce que sans doute inconsciemment, il me confortait dans un ensemble cohérent. Logique. Rassurant. Dans une bulle où je me sentais bien. Où je me sentais moi.
J’en avais eu la preuve dès le début, à l’occasion de ce quiz sans doute extrait d’un magazine féminin auquel j’avais été soumise. Ce genre de questionnaire qui permet de découvrir sa personnalité. Ses principaux traits de caractère. Il fallait que je détermine de quelle célébrité - France Gall, Françoise Hardy, Brigitte Bardot – je me sentais la plus proche. Fastoche ! Je n’ai pas hésité une seconde. J’ai coché France Gall sans même réfléchir. Instinctivement.
Oh oui, rien qu’elle. Complètement. Je suis une poupée de cire, une poupée de son. Mon cœur est gravé dans mes chansons. Poupée de cire, poupée de son. Le shetland moulant au ras du nombril. Le petit kilt à carreaux. La coupe sage au carré. Les yeux rieurs. L’air innocent. Lolita. Bimbo. Baby doll. Le sourire mutin. La voix douce. Sucrée. L’image fraîche et malicieuse. Et puis les sucettes à l’anis. Évidemment. Évidemment.
Annie aime les sucettes,
Les sucettes à l’anis.
Les sucettes à l’anis d’Annie
Donnent à ses baisers…
Parce que quand je serai grande, je serai chanteuse comme elle. Je m’habillerai comme elle, je me coifferai comme elle. Je parlerai comme elle. C’est bien simple, je fais déjà tout comme elle. Je ne manque aucun de ses concerts. Avec Irène et Sophie, on fait partie de son fan club. J’ai déjà des posters d’elle plein les murs de ma chambre. Et tous ses disques, bien sûr. C’est mon idole. Mon modèle. Je l’adore.
Un goût ani-
Sé. Lorsque le sucre d’orge
Parfumé à l’anis…
Il y avait aussi d’autres questions. Peu importe. L’exercice a été vite corrigé et les résultats n’ont pas tardé à tomber. J’ai même dû les copier sous la dictée. Pour faire court, je me souviens que globalement j’étais plutôt d’accord. Je réunissais, semble-t-il, les caractéristiques de la femme « émancipée » et surtout « perverse ». Émancipée, peut-être. Perverse, ça j’en suis sûre, c’était le dernier mot. On ne pouvait pas m’offrir un plus beau compliment. Claire, la petite collégienne innocente et perverse. Ce n’est pas moi qui le dis. Ce sont ma Directrice, les autres, et maintenant les journaux… Même des gens qui ne me connaissent pas. Et si tout le monde le pense, ça doit bien être vrai quelque part. En tout cas, loin de me contrarier ou de me faire honte, ce constat m’a mise d’excellente humeur. France Gall et Claire Grenadine. Le duo qui monte. Un couple d’enfer !
Coule dans la gorge d’Annie,
Elle est au paradis.
Voilà ! C’est cette image que j’avais en tête. Et dans l’oreille, la voix innocente de mon idole savourant ses sucettes. Le reste de l’histoire est à l’avenant. Plus personnelle aussi. Tout ce que je n’ai pas osé raconter à l’infirmière de mes premiers émois avec Arnaud, mon cousin. Les escapades discrètes dans l’intimité de sa chambre. Nos éclats de rire. La fougue avec laquelle il me prend dans ses bras pour me déposer sur son lit. L’excitation des préliminaires. Le plaisir qui me submerge quand il déboutonne fébrilement mon corsage. Que je tente sans conviction de l’interrompre en espérant secrètement qu’il continuera. Qu’il me caresse la pointe des seins. Que ma poitrine se met à gonfler tandis que je les sens durcir. Que ses doigts poursuivent leur parcours sur la carte du tendre. Qu’ils s’arrêtent pour faire une pause, au chaud, entre mes cuisses. Avant d’aller plus loin. Et que le sentant déborder d’énergie, je décide à mon tour de prendre les choses en main tout en lui laissant l’illusion de guider la manœuvre.
Pour quelques pennies, Annie
A ses sucettes à l’anis.
A ma façon, bien sûr. Sans précipitation. Avec douceur. Sensualité. Sans le quitter des yeux. Et sans oublier de sourire. Je lui fais croire que ce n’est pas du plaisir que je vais lui donner mais le plus beau des cadeaux qu’il s’apprête à m’offrir. La fermeture Éclair descend lentement. Mes doigts s’introduisent. Prennent contact avec le relief. Le réchauffent au creux de ma paume. Se glissent au fond des vallonnements. Remontent au sommet des collines. S’interrompent quelques instants pour le laisser s’épanouir. Sa respiration est devenue plus courte. Je le sens prêt.
Elles ont la couleur de ses grands yeux,
La couleur des jours heureux.
C’est le moment de l’extraire. Pour l’exposer en pleine lumière. En toute majesté. L’empoigner comme un guidon de vélo ou le brandir comme un oscar. Sans omettre de rougir juste ce qu’il faut pour manifester ma surprise devant la taille d’un tel trophée. Et de mimer un air gourmand. Cela ne coûte pas grand-chose et ça fait toujours plaisir. Je me suis mise à genoux entre ses cuisses. Les paupières baissées. Soumise. Il devrait apprécier.
Annie aime les sucettes,
Les sucettes à l’anis.
Les sucettes à l’anis d’Annie
Donnent à ses baisers…
Il faut que je commence par le caresser très lentement. Progressivement. Mais sans m’arrêter. Jusqu’à ce qu’il finisse par perde la tête. Nous n’y sommes pas encore. Pour le moment, je me contente de varier le rythme de mes mouvements pour identifier ses préférences. Pour contrôler ses ardeurs. Ou pour les stimuler. Pour trouver le bon tempo. A la limite de la zone à ne pas dépasser. Sans griller les étapes. J’aime quand il est docile. J’enfonce mes ongles dans sa peau en remontant le long de ses cuisses. A l’intérieur, là où le contact est le plus sensible. Je palpe ses bourses avec énergie. Peut-être trop. Mais il faut bien que je commette aussi quelques maladresses. Sinon il ne manquerait pas de se demander où j’ai appris tout ça. Gardons-le plutôt dans l’idée que c’est lui qui va m’initier. Que j’ai tout à découvrir. Susceptible et fier comme il est, ça devrait lui plaire. En attendant, l’opération se déroule comme sur des roulettes. Il se tient un peu en arrière, cambré, les jambes écartées, offert, les yeux fermés.
Un goût ani-
Sé. Lorsqu’elle n’a sur la langue
Que le petit bâton,
Mes deux doigts en anneau serrent fermement la base de sa verge. Tandis que l’autre main lui imprime un mouvement de va-et-vient. Le voilà décalotté. Waouuuuuu ! Il est super craquant comme ça. Prêt à subir l’alternance des caresses de ma langue sur son pénis et de mes suçotements contre ses bourses. Il ne va pas être déçu. Je les aspire une par une entre mes lèvres. Deux beaux fruits mûrs. Gorgés de soleil. Chauds et soyeux. C’est si bon que c’est presque un péché. Cela fait maintenant plusieurs minutes qu’il ne dit plus un mot. Sa peau est moite. Si mes calculs sont exacts, il ne devrait pas tarder à entrer dans un état second. Je manifeste ma satisfaction par des soupirs et des gémissements. Son plaisir ne sera que plus complet s’il constate que j’y prends goût.
Elle prend ses jambes à son corps
Et retourne au drugstore.
Oh oui, je suis sûrement sur la bonne voie. Je sens que je progresse. Son membre pointe en avant, raide comme la justice. Avec sa grosse veine bleutée qui la parcourt tout du long. J’ai de la chance. J’aime les sucettes qui durent longtemps.
Le plus dur pour moi aussi, c’est de résister à la tentation. De ne pas le satisfaire trop vite. Je vais faire semblant de ne pas comprendre. Battre des cils en ouvrant des yeux émerveillés. M’accorder le plaisir d’admirer le spectacle. Heureuse. Et attendre qu’il m’implore de lui-même que je l’assouvisse.
Pour quelques pennies, Annie
A ses sucettes à l’anis.
Dans l’immédiat. Il me semble un peu impatient. Un garçon bien élevé doit savoir se tenir. Je suggère d’abord de lui titiller le gland délicatement du bout de la langue. Oui, c’est ça, de l’effleurer à peine. Sans vraiment me poser. De musarder tout autour. En vol stationnaire. De le butiner. Il faut qu’une onde de picotements insupportables l’électrise et le traverse tout entier. Je veux le voir gonfler. Se distendre. Ensuite, je lui donnerai encore plus de plaisir en embrassant son pénis sur les côtés. J’écarterai les lèvres et je lécherai sa hampe en faisant vibrer ma langue autour.
Elles ont la couleur de ses grands yeux,
La couleur des jours heureux.
Il fallait s’y attendre. Ses yeux me supplient d’en terminer. De conclure. Je vais feindre de croire qu’il m’implore d’arrêter. Ou lui laisser entendre que je ne suis pas encore totalement satisfaite. Que j’aime les gros cadeaux. Et qu’il pourrait sûrement mieux faire s’il se donnait du mal, comme dirait ma Directrice. Alors quelques instants de répit, pas plus. Un simple arrêt technique. Pour mieux rebondir. Parce qu’il va falloir bientôt conclure. Le dénouement approche. Cette fois-ci, il n’y aura pas de sonnerie pour nous interrompre. Je veux un final brillantissime. Des cascades lumineuses. Une apothéose. Après avoir embouché son gland et refermé ma main autour de son pénis, je vais synchroniser progressivement mes mouvements de va-et-vient. Et ne pas hésiter à augmenter la cadence.
Lorsque le sucre d’orge
Parfumé à l’anis
Ça y est presque. Il est à bout. Je le sens. J’enfourne son sexe en feu entre mes lèvres humides. Il entre et il sort. Il coulisse comme un énorme piston. Il augmente encore de volume. Aspiré au plus profond de ma gorge. Je le regarde fixement. Sans cesser de sourire. Il faut qu’il comprenne qu’il est maintenant trop tard. Que je ne le lâcherai plus. Que je continuerai à le pomper jusqu’à l’explosion finale. Jusqu’à ce que le torrent de ses effusions se mêle aux larmes de mon plaisir.
Coule dans la gorge d’Annie,
Elle est au paradis.
Elle a sans doute raison, je dois être perverse.