L'éducation anglaise de Claire Grenadine
Invité du séminaire intitulé « Dynamiques contemporaines du document radiophonique », qui s’est tenu à l’initiative du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Radio (GRER) le 31 mai 2008 à l'Université Paris 1 - Sorbonne Panthéon Institut National d'Histoire de l'Art, Pierre Chevalier, conseiller au documentaire à France Culture et producteur-coordonnateur de l'émission « Sur les docks », apporte des précisions sur les conditions de l’enregistrement du documentaire « Dans le donjon de Maîtresse Cindy » et les réactions que ce dernier a suscitées.
Pierre Chevalier : « Ce documentaire a été diffusé il y a environ un an et demi. D'abord, un mot sur notre fonctionnement. Je coordonne cette émission et je travaille avec trois producteurs-coordinateurs, qui sont Irène Omélianenko, Alexandre Héraud et Joseph Confavreux. Nous avons deux attachées de production et six chargés de réalisation. Les producteurs-coordinateurs et moi-même travaillons, bien sûr, avec des producteurs délégués, parce que cela représente un certain nombre d'émissions documentaires et nécessite l'intervention de beaucoup de producteurs. Depuis 2006, date de naissance de l'émission, nous avons travaillé avec quatre-vingt-cinq producteurs.
D'un point de vue éditorial, nous essayons d'avancer à la fois d'une façon sérielle et d'une façon unitaire. Avec aussi des collections. Les objets sériels sont en général quatre ou cinq documentaires réalisés autour d'un thème que quelqu'un a envie de traiter ou d'entendre traiter. Nous réunissons l'équipe toutes les semaines pour mettre sur la table les sujets, les propositions qu'on peut avoir et celles qui nous arrivent.
Irène Omélianenko avait proposé ici une thématique sur le corps extrême. Elle connaissait une Maîtresse et était en mesure de faire un sujet sur son travail. Cela m'intéressait aussi parce que tout le monde fantasme sur cet univers. Le SM n'est pas tout à fait ce que l'on croit en général ; dans la pratique sexuelle, cela correspond à des choses très précises. C'est une sexualité contractuelle, un contrat entre un homme et une femme - peu importe le sexe - avec un objectif bien déterminé, qui est, pour celui qui subit, une utopie de jouissance dans la souffrance. Il y a d'un côté quelqu'un qui demande à souffrir pour ressentir un désir sexuel, et de l'autre un intervenant, ou une intervenante, qui remplit ce contrat et exécute un programme sexuel. Je le répète, c'est très différent de l'image que l'on en a, car ce n'est pas uniquement du cuir, un fouet, etc. »
Christophe Deleu : « Cet univers peut être donné à entendre à la radio ? »
Pierre Chevalier : « Il part d'une réalité. La productrice, le chargé de réalisation et le preneur de son se trouvaient donc dans ce donjon, un endroit très fermé, et Irène avait pu obtenir de Maîtresse Cindy l'autorisation de la suivre partout. Elle avait également obtenu des clients, de ceux qui paient et qui subissent l'exercice - le tarif est d'ailleurs mentionné à un certain moment - le droit d'enregistrer. C'est ce qui m'a intéressé, car on entend beaucoup de lieux communs sur cette pratique sexuelle. Les minoritaires sont les gens les plus exposés. C'est pour cela que ça valait la peine de les « documentariser ». »
Christophe Deleu : « Vous avez pu diffuser tout ce que vous avez enregistré ? »
Pierre Chevalier : « Nous avons diffusé les moments forts. Je me suis opposé avec la productrice à propos de la fin du programme. Il y a donc deux versions : un programme pour les festivals et un autre pour la diffusion. Dans le programme pour la diffusion, la fin se passe chez un client qui prend son plaisir dans l'étouffement. Il se fait donc envelopper par Maîtresse Cindy dans un plastique et il suffoque, le but étant, pour lui, de se procurer du plaisir, d'arriver à un étouffement maximum sans qu'il soit mortel. Nous avons capté la scène réelle ; elle durait à peu près 8 à 9 mn, et elle terminait le programme. Pendant 7 à 8 mn, on entendait le client qui commençait à étouffer. Là, j'ai coupé le programme, bien sûr...
J'écoute le samedi ce programme qui devait être diffusé le mardi suivant. Il me paraît excellent. Cette femme dit des choses intéressantes. En ce qui concerne la fin, il y a une progression, bien sûr, puisque l'action va jusqu'à l'étouffement et que la suffocation progresse lentement. Mais cette partie du documentaire n'est pas fascinante, ni du point de vue sonore, ni du point de vue du sens.
J'admets que proposer sur France Culture, pour une émission toute nouvelle diffusée de 16 heures à 17 heures, une série thématique sur le corps poussé à l'extrême et un documentaire sur les pratiques masochistes, puisse poser problème. Ça peut être pour un « Surpris », émission du soir qui passe à partir de 22 heures 15, ou pour un « Atelier de création radiophonique », le dimanche soir. « Sur les docks » est une émission quotidienne généraliste, diffusée à une heure d'écoute relativement creuse. Son auditoire est très fluctuant et, extrêmement diversifié. C'est une population assez insaisissable, qu'on ne connaît pas, très difficile à cerner, faite de personnes qui écoutent la radio par hasard. Je ne suis pas bégueule, mais cela m'a posé un problème éthique, de déontologie.
Le documentaire était décrit en ces termes dans le contrat avec la productrice : « Exposition du travail d'une dominatrice ». Le mot « sadique » serait faux, car une dominatrice n'est pas une sadique ; c'est une exécutrice effectuant un travail de domination sur une personne qui éprouve du plaisir dans la souffrance. Le documentaire me paraissait très précis sur ce point. Qu'il inclue un homme proche de l'étouffement n'était pas dans le contrat. Ni que l'on diffuse à n'importe qui ce documentaire. Nous sommes d'accord pour qu'il comporte un fragment de la pratique SM et qu'il montre une dégradation de la personne, puisque celle-ci fait partie de cette pratique sexuelle, mais pas pour que cette personne frôle la mort. J'ajoute qu'écouter un homme étouffer pendant 8 mn n'est pas ce qu'il y a de plus renversant ni de plus inédit. François Teste, le réalisateur, a donc coupé 4 mn sur les 7 ou 8 mn de la scène et on a diffusé le documentaire. Bizarrement, cette précaution était superfétatoire car nous n'avons eu aucune réaction. Nous savons qu'il y a généralement entre 20 000 et 50 000 auditeurs et aussi, à l'heure actuelle, entre 2 000 et 5 000 podcasts pour certaines émissions. Nous savons que l'émission est écoutée.
Mais on n'a eu aucun retour ; pas un seul mail. En revanche, les réactions ont été vives en interne. Ce genre de sujet était inédit sur France Culture ; c'est ce côté inédit qui m'intéressait, le fait que cette expérimentation sexuelle puisse être, en effet, documentarisée sans tomber dans de la provocation gratuite. Nous étions dans du réel contractuel. »
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