L'éducation anglaise de Claire Grenadine
Nous sommes le 25 septembre 2006, il est 17 heures. Comme convenu, je sonne à la porte du donjon. Maîtresse Cindy vient m’ouvrir. Elle est tout en beauté. Veste noire. Pantalon assorti. Bottines souples noires en cuir très élégantes. Petit chemisier blanc à col cassé. Piercing. Elle me tend la main mais je l’attire vers moi pour l’embrasser. Cela la fait rire. Elle me dit que l’équipe de France Culture est là et qu’elle termine avec elle la visite du donjon. Elle a transmis ma lettre à Irène. Celle-ci a, semble-t-il, apprécié à la fois le fond et la forme. En ayant pris le soin de me manifester par écrit vis-à-vis d’elle avant l’émission, peut-être éprouve-t-elle le sentiment de me connaître déjà un peu avant de me rencontrer.
Maîtresse Cindy me laisse enlever mes chaussures et me conduit dans la salle de classe où elle a préparé mes vêtements. Après en avoir discuté avec Irène, celle-ci souhaiterait s’adresser directement à Claire et pas à un partenaire de jeu de Maîtresse Cindy. Ma maîtresse juge donc préférable de me faire revêtir ma tenue de Claire. Elle me demande de ne pas faire de bruit et de mettre mes chaussures en dernier afin de ne pas gêner l’enregistrement. Elle a lavé et repassé mon string rose fluo. Chemisier blanc. Jupette bleu marine. Chaussettes rayées. Petit gilet noir sans manches. Chaussures bicolores. Perruque bleue avec ses deux petites couettes. Pendant que je me prépare, j’entends Maîtresse Cindy présenter à ses interlocuteurs les différentes salles de son donjon, le mobilier, les accessoires, la table médicale, la table d’élongation… Elle me confiera par la suite que les deux hommes de l’équipe découvraient son donjon pour la première fois et ont ressenti un véritable choc !
Elle revient vers moi et me demande si je suis prête. Elle m’aide à me coiffer. Je suis très désireuse que mes deux petites couettes soient bien dressées en l’air (très petite fille !). Oui, ça y est, Je suis prête. Je la sens concentrée et sans doute un peu tendue. Avant d’entrer en scène, je lui demande de m’embrasser. Elle sourit et elle le fait. Nous nous rendons au salon. Elle me présente à l’équipe : Irène Omélianenko, la productrice, François Teste, le réalisateur, et Yves Le Hors, le preneur de son. Nous nous disons bonjour. Je ne sais pas quelle impression je peux leur faire dans mon accoutrement surprenant ! Nous restons debout. Je pensais naïvement que nous allions nous asseoir. Maîtresse Cindy reste avec nous car l’interview mélangera des questions adressées à la dominatrice et à son élève.
Sans transition, l’interview commence. Irène me demande de me présenter. Je reprends le contenu de lettre que je lui ai adressée en la résumant. J’explique que cette année, j’ai Maîtresse Cindy comme professeure principale mais que j’ai effectué ma rentrée en retard à cause d’un regrettable accident de trottinette dans les derniers jours des vacances. Irène me demande de me décrire. Je crois avoir un bon niveau scolaire mais c’est surtout ma conduite en classe qui est loin d’être irréprochable. Turbulente. Insolente. Impertinente. Ma maîtresse intervient dans la conversation pour préciser que je suis également très perverse. Du coin de l’œil, j’observe, amusée, François Teste, légèrement en retrait, qui note, apparemment avec gourmandise, le « best of » de nos échanges sur un petit cahier d’écolier.
Symétriquement, Irène m’invite à dresser le portrait de Maîtresse Cindy. Je cite les principaux traits de son caractère tels qu’ils peuvent m’apparaître à travers nos jeux : son intelligence, son sens de la psychologie, son humour, son attirance pour les surprises, l’imprévu, le défi, le dépassement de soi. J’ajoute qu’elle habite complètement son personnage comme j’essaie d’habiter complètement le mien, qu’elle sait m’accepter telle que je suis, qu’elle n’est pas là pour me juger (elle n’est pas psychiatre) ni pour me soigner (elle n’est pas médecin) et que nous avons développé une forte complicité au fil du temps. Sans chercher à me prendre trop au sérieux (je dois rester une jeune fille impertinente), j’essaie d’exprimer des choses que je trouve importantes et qui me tiennent à cœur. Et puisque ma maîtresse est là pour les écouter, je ne peux pas m’empêcher de m’adresser indirectement à elle plutôt qu’à Irène. Une façon plus personnelle et plus subtile d’exprimer mon sentiment sur notre relation. De lui dire ce que je ressens profondément. De lui faire passer des messages. Car quand nous nous trouvons l’une en présence de l’autre, ce n’est jamais ce genre de sujets qui est au centre de notre relation.
Nous nous dirigeons ensuite vers les grilles du Severity College. Maîtresse Cindy ouvre ces dernières et présente la salle de classe. Irène m’interroge sur le sort qui est habituellement réservé aux élèves turbulentes. Je réponds que celles-ci sont immédiatement punies par Maîtresse Cindy, qui leur administre la fessée à mains nues ou avec divers instruments. Je ne crois pas si bien dire. Ma maîtresse s’approche avec un martinet. Histoire de plaisanter, je lui demande innocemment si elle le destine à Irène. Pas vraiment le moment de rire. Elle m’ordonne de me mettre à quatre pattes et de relever ma jupe. Je suis surprise car je ne pensais pas que nous jouerions la séquence en « live » mais après tout, pourquoi pas ! En bonne professionnelle, elle évite de frapper fort tout de suite et commence par un échauffement, puis les coups deviennent plus appuyés. Je serre les fesses. J’imagine la scène. Le sifflement des lanières. La vision de mes petites fesses dégagées par mon string rose fluo. Le regard des spectateurs qui m’entourent. En plus vous êtes aussi exhibitionniste, Claire !
Maîtresse Cindy me donne l’ordre de me relever et de montrer ma place à Irène. J’avance au premier rang, près du bureau. Maîtresse Cindy extrait de mon pupitre mon cahier Clairefontaine bleu à grands carreaux (chaque élève a le sien) et le présente à Irène. Nous tombons sur la page correspondant à la fameuse dictée de Prosper Mérimée (Le dîner de Sainte-Adresse) où j’ai fait brillamment 10 fautes (on pouvait en faire plus !), puis une autre dictée plus facile mais rédigée à la plume d’oie (attention, les pâtés) où je n’ai eu que deux fautes. Les questions d’Irène reprennent. Comment je me sens dans ce donjon ? Qu’est-ce qui m’attire ici ? Que deviendrez-vous l’année prochaine, l’année suivante, l’année d’après ? Comment avez-vous connu Maîtresse Cindy ? Quels souvenirs conservez-vous de la première séance avec elle (on se souvient toujours des premières fois) ? Est-ce que vous avez peur ? Est-ce que vous venez souvent ? Maîtresse Cindy intervient pour ajouter qu’il nous arrive aussi de nous livrer à des jeux en dehors du donjon. Pour illustrer son propos, je raconte brièvement notre sortie culturelle de fin d’année et la visite de l’exposition consacrée à Cindy Sherman (la brassée d’orties dans la petite culotte, les pinces à seins rue de Rivoli).
Les questions d’Irène ne sont pas blessantes ni trop intimes. Sans doute a-t-elle bien compris le message contenu dans ma lettre (« ne me juge pas et surtout laisse-moi vivre mon rêve »). En lui répondant, je regarde Cindy. Car c’est parfois plus à elle que je parle qu’à mon interlocutrice. Parfois même, je prends Irène à partie (gentiment). Ce n’est pas facile de venir ici pour la première fois. De franchir le pas. De passer à l’acte. De se livrer à quelqu’un que l’on ne connaît pas. Irène termine l’entretien en me souhaitant une bonne rentrée. Je la remercie. Elle a un visage très doux et des yeux bleus très pâles magnifiques. Avant de retrouver l’équipe qui s’est retirée dans le salon, j’attire à moi Maîtresse Cindy et je l’embrasse sur les deux joues. Elle me sourit. Je crois qu’elle est contente aussi. Je lis dans ses yeux qu’elle est satisfaite et pour moi, c’est beaucoup plus important que tout le reste.
S’adressant à l’équipe, elle dit que ce qui l’a frappée en m’écoutant, c’est que j’ai eu recours à des mots ou à des expressions qu’elle aurait elle-même employés (« j’ai eu à plusieurs reprises l’impression que c’était moi qui parlais »). Je suis très très contente d’entendre ce compliment. C’est pour moi le souvenir le plus fort de cette séance. Cela montre combien nous sommes devenues complices. Je reste habillée en Claire. Nous revenons dans le salon. Maîtresse Cindy nous propose un verre de sirop de mûre de son cru (fabrication maison). Nous voilà tous assis autour de la table basse. Je veille à serrer les jambes car ma jupette remonte très haut. Je trouve que mes cuisses sont très appétissantes dans cette position. Cindy et ses interlocuteurs évoquent la suite de l’émission. Ils reviendront jeudi pour la lecture de quelques textes écrits par Maîtresse Cindy, l’interview du deuxième soumis et le choix d’un fond sonore pour l’émission. L’équipe s’en va. Je leur dis au revoir.