L'éducation anglaise de Claire Grenadine
Le texte ci-dessous constitue l’avant-propos de mon journal intime que j’ai intitulé « Les petits secrets de Claire Grenadine ».
Ce n’est certainement pas le hasard qui m’a poussée à sonner à la porte du donjon de Maîtresse Cindy par un bel après-midi de mai 2002. Ma démarche était au contraire tout à fait réfléchie, volontaire, déterminée. Sans doute inconsciemment était-elle l’aboutissement d’un processus engagé déjà depuis plusieurs années.
Car l’histoire montre qu’il m’a fallu du temps pour en arriver là. Pour franchir le cap. Pour me jeter à l’eau. Pour passer à l’acte. Avec le recul, non seulement je ne le regrette pas mais j’en suis même très heureuse. Cette vie parallèle, ce jardin secret, cette promenade hors des sentiers battus, se sont révélés pleins de découvertes, de surprises et d’émotions.
Il faut bien reconnaître qu’une telle aventure pouvait me conduire aux confins de l’imprévisible, sur des terres inconnues. Car elle contenait forcément une part de risque. Rien n’est jamais innocent. Il fallait donc que je m’y prépare. Sans qu’il m’ait semblé nécessaire pour autant de justifier de qualités exceptionnelles. Tout juste pouvais-je présenter quelques dispositions particulières. La plus importante, à mon sens, était de me sentir motivée. D’avoir envie. D’être prête à vivre l’expérience avec intensité.
Alors pourquoi ? Pourquoi en 2002 ? Pourquoi tout court ? Et pourquoi avec Maîtresse Cindy ?
Pourquoi en 2002 ? J’imagine que jusque là, l’attirance était déjà latente mais que l’interdit exerçait une pression encore plus forte. Une question d’âge, de maturité, de caractère. Ajoutée à la prise de conscience progressive que ce monde souterrain n’était pas un lieu imaginaire, qu’il existait bel et bien quelque part et que le plus difficile n’était pas de partir à sa recherche mais d’oser vraiment y pénétrer, de nouer le premier contact. L’idée a lentement fait son chemin. Au fil des ans, le curseur s’est insensiblement décalé sur le bras de la balance.
Pourquoi tout court ? A cette question apparemment simple, la réponse n’est ni unique ni facile. Je l’aborde brièvement ici car ce n’est pas précisément un sujet que je développe dans les pages qui suivent. Elle me renvoie à moi-même dans ce que j’ai sans doute de plus intime. A ma vie. A l’éducation que j’ai reçue. Difficile de démêler l’écheveau entre l’attrait pour ce qui est défendu, le besoin compulsif de faire sciemment de grosses bêtises, le goût de l’évasion, l’envie de passer à des plats plus épicés, de vivre des expériences qui sortent de l’ordinaire, de me libérer, de jeter mon bonnet par-dessus les moulins, de retrouver des sensations oubliées qui remontent à l’adolescence, voire à l’enfance, de me dépouiller de mes habits de tous les jours pour me sentir enfin vraiment moi-même, de pénétrer dans un monde sans tabou, attirant et secret, prêt à accueillir mes fantasmes sans chercher à les juger… Ce sont ces éléments qui m’ont conduite un jour à composer un numéro sur un cadran et à me confier à celle qui saurait les comprendre et les satisfaire.
Et ce jour-là, c’est Maîtresse Cindy qui m’a répondu. Il a suffi au tout début du timbre d’une voix au téléphone, précédé d’une photo montrant l’aménagement d’un donjon extraordinaire, dissimulé quelque part dans les profondeurs de Paris. Je me souviens en particulier du cadre d’une salle de classe reconstituée comme autrefois, avec son tableau noir, son estrade et ses rangées de pupitres…Il ne manquait plus que les personnages pour l’animer. Je n’étais pas encore Claire mais je le suis vite devenue. Car tout était réuni pour que je le devienne.
Lorsqu’est arrivé notre premier rendez-vous, le mardi 7 mai 2002 - sobrement noté « Dentiste » sur mon agenda professionnel -, l’impression initiale s’est confirmée. J’ai tout de suite aimé son physique, son naturel, sa façon d’évoluer, de jouer, de surprendre. Et puis j’ai rapidement appris à apprécier son intelligence, sa finesse de caractère, sa sensibilité, son intuition, son humour, son originalité, la diversité de ses centres d’intérêt (la musique, la littérature, la peinture, la photographie, la nature), son goût du jeu, son sens de l’improvisation… Nous sommes rapidement devenues complices.
Les pages qui suivent renouent fidèlement le fil d’Ariane de nos rencontres et de nos échanges. Une sorte de journal, de carnet de bord, de bloc-notes. Avec des dates, des descriptions, quelques commentaires. Un compte rendu purement chronologique et factuel. Tout l’opposé d’une somme de réflexions sur le sadomasochisme. L’objectif est nettement plus modeste. Il consiste à garder trace sur le vif des bons souvenirs. De les attraper au vol pour les enfermer immédiatement dans ma boîte à trésors. Celle dont j’aime régulièrement soulever le couvercle pour en respirer les effluves parfumés.